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capitaines de mes vaisseaux de courir sus à ceux du roi d’Angleterre, vous fassiez délivrer des commissions en course à ceux de mes sujets qui en demanderont. »

Le vieux Maurepas lui-même, si prudent et si étranger à l’esprit d’aventure, croit devoir céder au torrent. Il étonne l’abbé de Véri par l’énergie de son langage et sa volonté belliqueuse. « Je fus surpris, écrit l’abbé[1], du ton hostile dont il me parla contre l’Angleterre. Il n’est plus temps de temporiser ! me dit-il. Il se refuse à toutes les insinuations qu’on lui fait, que l’Angleterre serait sans doute disposée à subir toutes les conditions pour conserver la paix. Il faut profiter, répond-il, du moment favorable pour affaiblir cette puissance ennemie. Je ne puis plus douter, ajoute Véri, de ses intentions guerrières. L’ordre est signé pour la marche des troupes et pour les préparatifs nécessaires à une entreprise sur les possessions de l’Angleterre, suivant que les circonstances le permettront. »


Ainsi fut décidée et commencée une guerre, qui ne devait se terminer qu’en 1783, et dont les conséquences politiques furent si graves. Si l’on met en balance les avantages et les désavantages, il faut reconnaître, avant tout, le regain de prestige qui en résulta pour nos armes. Depuis le traité de Paris, signé en l’an 1763, pour mettre fin à une guerre désastreuse, ni l’Europe, ni la France elle-même, n’avaient d’idée précise sur notre puissance militaire. On savait que de bons ministres, Choiseul, du Muy et Saint-Germain, avaient travaillé de leur mieux à relever notre armée de sa ruine, que Turgot et Sartine s’étaient pareillement appliqués à restaurer notre marine. Mais qu’avaient produit ces efforts ? Nous avions des soldats, des officiers, une artillerie bien outillée ; nous avions des vaisseaux dont le nombre était presque égal à celui de la flotte anglaise ; mais que valaient ces instrumens ? À l’usage seul, on pourrait le connaître. On fut d’ailleurs promptement fixé. De multiples succès, tant sur mer que sur terre, sanctionnés par une paix honorable, presque glorieuse, allaient, après quinze ans de doute, rendre à la France la confiance en soi-même et lui restituer du même coup le respect de l’Europe. C’est un profit moral qui n’est certes pas négligeable. Habilement exploité, ce retour de

  1. Journal de l’abbé de Véri, juillet 1778, passim.