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conjoints serait fou : la démence de Polotzeff empêchait Simone de se libérer en faveur de Le Jas. Bref, M. Paul Marguerite n’est pas l’ennemi de la famille. Il en a montré la valeur. Il en a montré les inconvéniens. Je crois qu’il la voudrait anéantir (comme, par l’incendie, l’usine Fabrecé) et reconstruire plus largement, sur le patron d’un idéal plus commode, plus accueillant, plus moderne.

Et il commet, à mon avis, l’erreur de tous les théoriciens qui se figurent que la réalité est soumise au législateur et au moraliste, comme (par exemple) au romancier. Née lentement et s’étant constituée selon ses lois profondes, la famille est un organisme. On la détruirait plus facilement qu’on ne la modifierait.

M. Paul Margueritte commet aussi l’erreur la plus périlleuse des novateurs de ce temps-ci : l’erreur matérialiste. Sa famille Fabrecé est une entreprise qui vaut par la prospérité croissante. Et le principe au nom duquel il présente ses réclamations, le principe de ses critiques et de ses vœux, c’est le bonheur. Mais le bonheur n’est pas le principe de la famille ; on ne peut pas fonder la famille sur le bonheur, la famille ni autre chose, ni rien.

Revenons à la littérature. Ce roman réaliste se termine en symbole ; ce roman réaliste est, dans le détail, composé en vue de sa conclusion. Ainsi le réalisme en est compromis ; le réalisme en est insignifiant.

Or, l’auteur, pour être réaliste, a veillé à ce que les aventures de ses héros fussent des aventures très ordinaires, banales comme la vérité, des aventures de tous les jours. Il n’a pas voulu nous distraire.

Et l’auteur, pour être moraliste, a négligé ces petites remarques, d’un pittoresque saisissant, qui nous amusent et nous émeuvent en nous donnant la sensation de l’authentique vérité : nous contemplons, en quelque sorte, une réalité neuve, qui nous étonne et que pourtant nous reconnaissons. M. Paul Margueritte n’avait rien à tirer de là.

Et il nous offre une série d’images d’Épinal, — Emile Zola les aurait-il aimées ? Edmond de Goncourt les préférait de Tokio, — une série d’images d’Épinal, édifiantes et assez vaguement subversives.

Telle était, il y a vingt ans, l’attitude des romanciers à l’égard de la réalité. Quelle est, à présent, leur attitude ?

Celle de quelques-uns, la voici.

M. Raymond Clauzel a écrit l’Extase. Plutôt, il en a écrit la première moitié ; la seconde, à peine l’a-t-il indiquée sommairement : peut-être a-t-il manqué de loisir ou de zèle. Mais il y a, dans la première moitié de l’Extase, des pages délicieuses. Je laisse de côté la