Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Versailles, ces nouvelles donnaient à penser que l’affaire n’irait pas si aisément qu’on avait cru d’abord. La résolution fut donc prise de ne rien négliger pour tirer le meilleur parti de l’atout qu’on avait en main, grâce au mariage de Marie-Antoinette.

Une vive campagne s’engagea pour pousser la jeune Reine à intervenir dans la cause et à employer son crédit pour l’avantage de sa famille. Joseph, Kaunitz, Mercy, l’Impératrice elle-même, malgré sa désapprobation intime, tous travaillèrent avec ardeur à gagner cette précieuse recrue, et Marie-Antoinette se vit, un mois durant, en butte à une obsession véritable[1]. Comment eût-elle pu résister à un aussi furieux assaut ? Elle céda donc. L’Autriche n’y gagna rien ; la Reine allait beaucoup y perdre.


V

Ce fut après une longue conversation avec l’ambassadeur d’Autriche, avec le vieux serviteur de sa mère, avec le guide de sa jeunesse, après une scène d’objurgations et de supplications pressantes, que Marie-Antoinette, dûment endoctrinée, consentit à parler au Roi et à lui exposer comme quoi la « conduite équivoque » du ministère français amènerait infailliblement « le refroidissement de l’alliance. » Mercy rapporte ainsi la fin de l’entretien entre les deux époux : « C’est l’ambition de vos parens qui va tout bouleverser, répondit Louis XVI à sa femme. Ils ont commencé par la Pologne ; maintenant la Bavière fait le second tome. J’en suis fâché par rapport à vous. — Mais, repartit la Reine, vous ne pouvez pas nier, Monsieur, que vous étiez informé et d’accord sur cette allaire de la Bavière ? » A quoi, le Roi réplique avec vivacité : « J’étais si peu d’accord, que l’on vient de donner ordre aux ministres

  1. Dans la plupart des Cours européennes, il régnait une grande inquiétude au sujet de cette campagne. On craignait que l’action combinée de l’impératrice Marie-Thérèse et de la reine de France n’aboutît à provoquer une conflagration générale. Cette frayeur se fait jour dans ces lignes confidentielles adressées par le roi de Suède à Maurepas, le 4 janvier 1778 : « Les orages semblent se rassembler de nouveau et peut-être ne seront-ils pas longtemps à éclater. L’ambition et l’humeur vindicative des femmes ont toujours cause des malheurs, et quand cet esprit se joint à une grande puissance, on ne peut douter qu’elles ne rompent tôt ou tard les digues qu’on leur oppose. Il n’y a que la modération, et surtout la fermeté, qui peuvent retenir quelque temps. Il serait heureux si tous les princes adoptaient les vues pacifiques de votre jeune Roi… Les nouveaux principes de droit public que les puissances d’aujourd’hui ont introduits ne sont bons ni pour la morille ni pour la politique ! » — Archives du marquis de Chabrillan.