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endroit n’y était plus propice et plus agréable. » Bref, reprend-il plus loin, c’est chez elle qu’était « la vraie cour, » une cour sans étiquette, et « d’autant plus commode. »

Dans le camp de la Reine, outre ses familiers, — les Polignac, Vaudreuil, d’Adhémar, Guines, Besenval et toute leur clientèle, — se trouve au premier rang Necker, qui fait cause commune avec elle. Elle le soutient auprès du Roi ; il est, quand il se peut, indulgent à ses fantaisies. Cet échange de bons procédés se soutiendra jusqu’au bout de son ministère. Il faut citer encore une recrue fort inattendue, le Duc de Chartres, naguère ennemi juré de Marie-Antoinette, mais que sa brouille avec Maurepas, à la suite de propos blessans échappés au Mentor[1], rapproche passagèrement du parti de la Reine. Quant aux deux frères du Roi, ils sont actuellement divisés. Le Comte d’Artois, par suite de son intimité familière avec sa belle-sœur, la suit, bien que sans enthousiasme, dans la voie politique où elle s’est engagée, et semble épouser sa querelle, Le Comte de Provence, au contraire, gardant rancune au directeur des refus opposés à son avidité, fera campagne avec Maurepas, mais à sa façon coutumière, en sourdine, sans se découvrir, en se cachant derrière des prête-noms et des subalternes.

Enfin n’oublions point un appoint important. Choiseul et ses amis, quelque temps assoupis, comme rebutés par leurs nombreux échecs, relèvent maintenant la tête, se reprennent à l’espoir. L’entrée de Castries au ministère leur assurait des intelligences dans la place ; ils rêvaient de nouvelles conquêtes. Ne pourrait-on s’entendre avec Necker et, en lui laissant la haute main sur tout ce qui touche aux finances, ressaisir peu à peu la direction des affaires de l’État ? Cette pensée, à coup sûr, hante

  1. Après le combat naval d’Ouessant, où le Duc de Chartres, conjointement avec d’Orvilliers, commandait l’escadre française, les amis du jeune prince avaient fait sonner haut ses prétendus exploits, dont les relations officielles donnaient lieu de douter. Peu de temps après, revenu à Paris, le Duc de Chartres, entrant à l’Opéra, était salué par une ovation du public. Mme Amelot, qui se trouvait dans la loge de Maurepas, interrogea celui-ci sur le motif de ces acclamations. Le vieux ministre, à cette question, répondit par cette citation :

    Jason partit, je le sais bien ;
    Mais que fit-il ? Il ne fit rien.

    Le propos, répété au prince, excita son ressentiment. Il attribuait, de plus, en grande partie à M. de Maurepas la résistance que rencontrait son vif désir d’être nommé amiral de France. C’est ce qui le jeta du côté de Necker et de son parti.