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qu’aux ministres privilégiés. Dès le lendemain, ce fut chose faite[1].

Cette marque de confiance, dont on avait été surpris, n’avait d’ailleurs mis lin ni aux fâcheux trafics, ni aux médisances du public, et le raffermissement ne parut qu’éphémère. C’était l’heure où la Reine entrait ouvertement en scène, intervenait avec une ardeur juvénile dans les choses de la politique. De cette intervention, le prince avait beaucoup à craindre. Marie-Antoinette, en effet, n’aimait pas Montbarev, qu’elle regardait comme « tout Maurepas » en qui elle ne voyait qu’une « créature » du conseiller du Roi. Il avait eu d’ailleurs, en plusieurs occasions, l’insigne maladresse de faire passer les protégés de Mlle Renard avant les protégés de Marie-Antoinette : d’où, chez la fière princesse, une indignation violente. On sait combien la Reine, pour satisfaire son entourage, était jalouse de garder la haute main sur la distribution des grades et sur le choix des garnisons. Naguère, sur ce terrain, les vertueuses résistances du comte de Saint-Germain avaient parfois excité ses colères ; que devait-elle penser de refus inspirés par une lâche déférence aux caprices d’une fille entretenue ?

L’irritation, longtemps contenue, éclata brusquement dans les derniers jours de septembre 1780. La souveraine désirait vivement une compagnie pour un jeune officier qui lui était recommandé par quelqu’un de sa société, et Montbarey, sollicité par elle, lui en avait fait la promesse. Elle apprit tout à coup que le brevet avait été donné, non à son candidat, mais à un sieur Renard, propre frère de la courtisane qui, selon l’expression de M. de Kageneck, faisait avec le prince « un échange de faveurs[2]. » C’en était trop. Elle manda Montbarey, le tança vertement, le congédia tout interdit. Elle ne s’en tint pas là ; elle popularisa l’histoire. Les jours suivans, il lui arriva plus d’une fois, en rencontrant des officiers fraîchement promus à un grade supérieur, de leur demander à voix haute « quelle somme ; ils avaient payée à Mlle Renard pour obtenir leur emploi. » La Cour ne s’entretenait que de cet incident. Maurepas lui-même s’émut ; il eut avec le prince une explication des plus vives, à la

  1. Correspondance secrète publiée par Lescure. mai 1778. — Corr. de Métra. — L’Espion anglais, etc.
  2. Lettres de Kageneck, 1er octobre 1780.