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mot de Kitchener, « allait faire beaucoup de bruit dans le monde. »

Elle fut de la part des Anglais une suite de combinaisons ordonnées et réfléchies, sous l’apparence d’actes spontanés et simples. Kitchener amène une petite flotte, 2 000 hommes et 50 canons, pour n’être pas pris au dépourvu si la rencontre devient bataille, surtout pour prévenir cette bataille et imposer sans elle ce qu’il veut par sa « force prépondérante. » Il prie, comme la supériorité de grade l’y autorise, Marchand de se rendre à bord, pour se donner, avec le prétexte de la visite à rendre, l’occasion de pénétrer dans la place, d’en connaître la garnison et l’armement. L’examen fait, il expose avec une calme assurance que les droits de l’Egypte sur le Haut-Nil, tenus en échec par l’insurrection mahdiste, viennent de reprendre toute leur étendue par l’anéantissement des révoltés ; que Fachoda, ancienne possession de l’Egypte, est redevenue égyptienne et qu’il vient l’occuper, bon prince, il accepte le débat sur sa thèse, mais la controverse commencée au nom du droit égyptien se clôt par une sommation de la puissance britannique, comme si, d’une leçon apprise, s’échappait soudain le cri sincère et redoutable. Comme la menace n’ébranle pas le refus des Français, un colonel qui accompagne le général lui propose de les expulser sur l’heure, et ceux-ci, semble-t-il, n’ont plus qu’à redire : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers. » À ce moment décisif, de l’offensive, le général passe à la transaction. Il propose aux Français, soit de rester à Fachoda comme mission scientifique sous le drapeau anglais, soit que les deux drapeaux flottent ensemble sur la ville et qu’elle soit provisoirement occupée d’accord par les troupes de l’une et l’autre nations. Il va diminuant ses exigences, pour obtenir la résignation des Français à ce dont il se contente. Cette modération lui est inspirée par deux sentimens qui, d’ordinaire, se contredisent, qui, chez les Anglais, s’associent et se complètent, une générosité instinctive et un égoïsme réfléchi. Kitchener, parce qu’il savait de ces Français et par ce qu’il apprend, leur a voué une admiration sincère ; en ces briseurs d’obstacles il reconnaît son espèce, et se plairait à ménager leur honneur. Puis obtenir leur consentement à une occupation indivise, c’est se faire ouvrir par eux la porte que l’Angleterre réouvrira plus tard pour les mettre dehors. Et l’on sait, en Egypte même, comment finit un condominium. Il veut