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fait plus claire, le ton devient plus sourd, la note plus brève. Et le Journal du docteur finit en carnet d’hôpital qui dit les dernières douleurs et l’agonie d’un grand dessein.

Malgré que la forme même de ce travail le défende contre tout artifice de composition et que sa régularité de pendule rythme d’une amplitude égale et ininterrompue tous les instans de la durée, cette durée s’ordonne d’elle-même en une trilogie. Des théâtres différens, des situations changées, et des sentimens successifs la divisent en trois actes qui mènent avec une émotion grandissante le drame à sa fin. C’est d’abord la marche d’approche vers le but, avec des souffrances illuminées et guéries par l’espérance fixe d’atteindre Fachoda. C’est ensuite le séjour dans la ville, avec des périls ennoblis et glorifiés par l’orgueil de conserver à la France une conquête. C’est enfin la retraite par l’Abyssinie, où la sécurité de la route, la clémence du climat, la fin des misères, la largeur de l’hospitalité, les respects et les honneurs ne pourront alléger le poids accablant de l’œuvre abandonnée et de l’espoir perdu.

Tel est ce livre : une Odyssée où il y a des pages d’Iliade.


V

Le dernier mot d’une Iliade ne doit pas être de tristesse, mais de fierté.

La tristesse fut légitime chez les soldats quand ils quittèrent la bataille, car ils n’avaient reçu du sort que les trahisons. La fierté est permise à la pairie quand elle les regarde eux-mêmes, car peu d’hommes furent plus hommes.

Il y a des tentatives dont tout l’honneur appartient à un seul et qu’on a louées tout entières en célébrant leur chef. Certes, le chef ici mérita d’attirer les regards et leur admiration fait justice. Porter sans défaillances le poids de lourdes entreprises, en conduire les détails, en ordonner l’unité, exiger beaucoup des autres et obtenir plus encore en s’imposant à soi-même plus qu’on ne demande à personne, associer l’intelligence et le cœur de tous à l’effort qu’une discipline ignorante ne servirait pas assez, connaître les aptitudes et répartir d’après elles les tâches, inspirer à chacun le genre de crainte et d’affection qu’il faut pour accroître la vertu du pouvoir et en garder le prestige intact même dans la familiarité, ne se déconcerter de rien, par