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Au point de vue pratique et immédiat, l’effet du Compte rendu fut bien celui qu’en attendait Necker. Tous les prêteurs d’argent furent comme subitement emportés par un grand élan de confiance. Les particuliers, les banquiers, se ruèrent vers les caisses de l’Etat, pour y jeter, les uns le fruit de leur épargne, les autres leurs fonds disponibles. Un emprunt, nouvellement émis, de 70 millions attira au Trésor royal des versemens pour la somme de 108 millions. L’Europe suivit le même mouvement et crut au crédit de la France. « Cet ouvrage, connu dans les pays étrangers, dit le chevalier de Pujol[1], portera un coup sensible à l’Angleterre, si, comme on le dit, les Hollandais en retirent leurs fonds. » Et le nouvelliste Métra renchérit en ces termes : « S’il est vrai, comme le pense toute l’Europe, que les grandes querelles nationales ne sont plus que des guerres d’argent, les Anglais ne doivent pas tarder à s’avouer vaincus. D’habiles ministres valent bien, en ce siècle, d’habiles généraux pour remporter des victoires[2]. » A consulter les faits aussi bien que les témoignages, il est donc difficile de nier que le coup de Necker n’ait très efficacement servi l’intérêt national.

Quant au renom personnel de l’auteur et à sa popularité, il faut, pour s’en représenter le progrès foudroyant, feuilleter, aux archives de Coppet, l’énorme liasse de lettres qui affluèrent alors à l’hôtel du Contrôle, pour louer, pour remercier Necker, bénir son nom et le porter aux nues. C’est le maréchal de Mouchy qui complimente « le ministre éclairé qui a fait, en quatre ans, ce qui illustrerait une longue vie. » C’est Marmontel qui, le visage inondé de larmes heureuses et poussant des « cris de délire, » divague d’admiration, se sent, dit-il, « devenir fou » dans l’excès de son allégresse. C’est l’évêque de Mirepoix qui regarde Necker « comme placé sur un rocher immense, contre lequel tous les flots de la mer viennent se briser[3]. » Le Journal de Hardy signale, dans la bourgeoisie parisienne, une pareille poussée d’enthousiasme. Bref, pour cette « opinion publique, » à laquelle il attache une valeur peut-être excessive, Necker est, de ce jour, selon l’expression de Véri, « un héros de finance. »

  1. Lettre du 21 février 1781. — Loc. cit.
  2. Correspondance secrète, 7 mars 1781.
  3. Le Salon de Mme Necker, par le comte d’Haussonville, t. II.