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Peu à peu, cette résistance fait place à une profonde torpeur, à l’assoupissement, à l’immolation de toute « espérance » et de toute « envie. » Dès le mois d’août, le poète hanté par ce vers farouche que Michel-Ange a mis dans la bouche de sa sombre Nuit : Pero non mi destar, deh ! parla basso, traduit ainsi son désespoir, plus morne encore que celui du sculpteur florentin :

Je suis un berceau
Qu’une main balance
Au creux d’un caveau
Silence, silence !

Et, dans le même temps, sous ce titre : La Chanson de Gaspard Hauser, il résume, en trois quatrains, tout étriqués, sa pauvre vie, puis, en manière de conclusion, il retrouve le cri : « Pourquoi suis-je né ? » du patriarche Job sur son grabat.

Septembre se passe encore à ressasser tout ce « passé, » tout ce « remords, » qui se présente à la « lucarne » du prisonnier

Avec les yeux d’une tête de mort
Que la lune encore décharne,

et ricane près de lui. Mais le rire sardonique de ce spectre ne le charme plus ; les gambades folâtres du « vieux turlupin » n’arrivent qu’à l’irriter : chants et danses, il somme la macabre apparition de cesser tout cela. Elle répond avec sa voix de « vieillard très cassé : »

C’est moins drôle que tu ne penses. (Le Pouacre.)

En septembre également, sous ce titre Almanach de l’année passée, le poète reprend, dans le mode mélancolique, ses souvenirs des jours insoucians ou éclairés d’un beau rayon d’espoir, puis cruellement endeuillés, exaspérés, souillés par la misère. C’est, au début, l’image exquise de quelques semaines du printemps dernier où il reprenait vie et joie à Jehonville :

L’odeur est aigre près des bois,
L’horizon chante avec des voix,
Les coqs des clochers des villages
Luisent crûment sur les nuages.
C’est délicieux de marcher
À travers ce brouillard léger