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de l’Univers, nous n’aurions aucun moyen de nous en apercevoir à notre réveil, et le monde ne nous paraîtrait pas changé. Et pourtant, chacune des heures marquées par nos horloges durerait mille fois plus qu’une des heures anciennes ; les hommes vivraient mille fois plus longtemps. Ils n’en sauraient rien, car toutes leurs sensations seraient ralenties d’autant. Cela montre qu’il n’y a pas de temps absolu, et aussi qu’il y a quelque chose de profondément vrai dans la locution familière d’après laquelle « certaines minutes valent des siècles. » Puisque le temps n’existe qu’autant qu’il y a mouvement, qu’il y a changement dans les sensations, il est vrai qu’une seule minute de vie cérébrale intense dure plus que les années de la vie des brutes animales ou les siècles d’existence d’un caillou. À un autre point de vue, certaines expériences récentes de l’optique conduisent à ce résultat singulier que, dans certains cas, les êtres animés de mouvemens rapides et variés vieillissent et évoluent moins vite que les autres. Nous aurons l’occasion, à propos de la révolution que le radium a introduite dans la mécanique, d’en parler prochainement.

Mais il est une autre théorie récente qui nous montre le temps sous un singulier aspect. On croyait jusqu’à ces dernières années, — et toutes nos sciences sont fondées là-dessus, — que l’ensemble des phénomènes que nous voyons se dérouler dans l’Univers ne dépend que de son état immédiatement antérieur, et en découle d’une façon progressive. Or, de récentes découvertes relatives aux lois du rayonnement ont conduit à la théorie des quanta, — étrange comme son nom lui-même. — D’après cette théorie, dont j’ai déjà eu l’occasion de dire ici un mot à propos de l’œuvre de Henri Poincaré, et que certains faits imposent de plus en plus, un système physique quelconque, l’Univers lui-même n’est susceptible que d’un nombre fini d’états distincts. Il saute de l’un à l’autre sans passer par une série continue d’états intermédiaires. Natura facit saltus. L’Univers, si j’ose employer cette comparaison, se déroule, non pas suivant une pente toujours inclinée, mais en gradins successifs raccordés par des plans horizontaux.

Mais alors, dans l’intervalle où l’Univers demeure immobile, les divers instans pendant lesquels son état ne change pas ne peuvent plus être discernés les uns des autres, puisque c’est le mouvement seul qui nous donne la notion de la durée. Et c’est ainsi que l’ensemble des choses qui sont dans le vaste monde et que nous-mêmes, sans que nous puissions le soupçonner, nous nous endormons peut-être à de certains momens, comme fit la Belle au Bois Dormant, figés