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brusquement dans une immobilité cataleptique, pour reprendre, au bout d’un temps que nous ne pouvons soupçonner, notre course hasardeuse. N’est-ce pas effrayant ? Et pourtant, c’est peut-être vrai, si l’hypothèse des quanta est exacte.

« O temps, suspends ton vol ! » disait Lamartine : et c’était là une charmante absurdité de poète. Si le temps avait obéi à cette objurgation passionnée, ni le poète ni Elvire n’eussent pu le soupçonner ni en jouir, car, encore un coup, nous ne vivons qu’autant que nous changeons. Des sensations toujours identiques, fussent-elles éternelles, seraient la même chose que la mort.

En somme, de ce ruissellement des phénomènes qu’on appelle « le temps » nous ne connaissons guère que le nom que nous lui avons donné ; nous ne savons pas ce qui se cache derrière, et si même il s’y cache quelque chose. Avec leur index qui n’était qu’une ombre fugitive, les anciens cadrans solaires avaient un sens symbolique plus vrai que nos chronomètres précis dont l’aiguille exacte et fallacieuse cache mal notre ignorance de ce qu’ils mesurent. Et puis, les cadrans solaires avaient leurs devises, légères ou profondes, qui sur les vieux murs nous dévoilent encore parfois l’âme du passé.

J’en ai découvert récemment deux bien jolies dans un des hôtels anciens du Marais où l’on éprouve toujours un petit serrement de cœur quand, au lieu des claquemens vifs et impérieux de quelque haut talon rouge, on entend sur les pavés de la cour le choc des marteaux prosaïques contre les caisses d’emballage. La première : Veniet quæ non sperabitur hora est certes mélancolique. Mais il n’est sans doute guère possible d’enfermer en quatre mots plus de pensée, de tristesse, de philosophie que ne le fait celle-ci : Nec ultima si priori Peut-on trouver plus admirable exemple de la concision latine ?


CHARLES NORDMANN.