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le même caractère : en réalité, les deux principales armées, celle des Bulgares et celle des Turcs, étaient épuisées. Victorieuse ou vaincue, elles avaient fourni toutes deux un immense effort et subi des pertes considérables. On a mieux su ce qui se passait du côté des Turcs ; les correspondans de journaux en ont envoyé dans le monde entier des récits copieux et vraiment effroyables ; jamais la misère des choses humaines ne s’était manifestée en traits plus saisissans et plus douloureux ; il semblait qu’on assistât à la fin d’un monde et, au surplus, on ne se trompait guère. Les malheureux Turcs ne pouvaient rien cacher de leur profonde détresse. Mais les Bulgares ont été plus couverts, plus secrets, plus mystérieux ; ils n’ont laissé voir que leurs succès ; on n’a su que par la suite ce qu’ils leur avaient coûté. Eux aussi ont perdu beaucoup de monde et ils sont arrivés harassés devant les lignes de Tchataldja. Enfin un terrible fléau est venu décimer les adversaires en présence. S’il a particulièrement sévi sur les Turcs, il n’a pas épargné les Bulgares. Les champs de bataille remplis de cadavres étaient devenus des champs de pourriture. Des populations déracinées avaient reflué sur Constantinople, dénuées de tout et dans le plus triste état de délabrement matériel et moral. Quel merveilleux terrain de culture pour le choléra ! Il a fait des ravages qui nous ont remplis d’horreur et de pitié. Cette fois encore, nous avons su tout ce qui se passait du côté turc et peu de chose de ce qui se passait du côté bulgare ; mais là aussi le mal a été grand. Aussi, sans attendre l’armistice, les hostilités ont-elles été suspendues. Les Bulgares se sont même éloignés de quelques kilomètres des lignes de Tchataldja, et les Turcs en ont tiré avantage comme s’ils reculaient devant eux. C’est toutefois une question de savoir s’ils reculaient en effet devant eux, ou devant le fléau. Le choléra aura peut-être préparé la paix : en tout cas, il a contribué à arrêter la guerre, ne fût-ce que pour un temps, et ce temps a permis de réfléchir.

C’est au roi des Bulgares que s’est adressé directement le grand vizir Kiamil pacha pour demander un armistice, c’est-à-dire la paix elle-même, car l’un doit conduire à l’autre et tout le monde a eu le sentiment que les conditions de celle-ci ne différeraient pas sensiblement des conditions de celui-là. Mais ces conditions, telles qu’elles ont été tout d’abord énoncées, ont paru si dures que le gouvernement ottoman les a rejetées. Elles sont dures, en effet. Elles consistent dans l’évacuation des lignes de Tchataldja que les Bulgares n’ont pas encore pu emporter, dans la cession d’Andrinople qu’ils n’ont pas pu prendre, de Janina que les Grecs n’ont pas pris davantage, de