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nacelle percée et faisant eau de plusieurs côtés, que l’on s’entêterait néanmoins à exposer au courant rapide d’une rivière. » Dans les rues et dans les carrefours, on vendait pour trois francs une belle estampe allégorique, qui remportait un vif succès : on y voyait, sous la figure d’une femme, la France qui, « le Compte rendu à la main, indique une pyramide où est gravé le nom du directeur général des finances… Au bas sont l’Equité, l’Humanité, l’Abondance et la Charité. L’Economie ordonne à la Muse de l’Histoire d’effacer de nos fastes le mot impôt. » Et tout cela avait pour titre : La Vertu récompensée.

Plus encore que ces traits, un fait démontre sans réplique l’impression générale : chaque fois, au cours de ces journées d’attente, que le bruit s’accrédite de la démission de Necker, « on constate sur la place une baisse assez considérable des effets royaux ; » tandis que la nouvelle contraire provoque une hausse immédiate[1].


On vient de lire les bruits répandus dans la rue et les commentaires de la foule ; voici maintenant ce qui se passait réellement. Le samedi 19 mai[2], Necker se rendit à Marly, où résidait la Cour. Il vit d’abord Maurepas, auquel, en peu de mots, il renouvela l’espèce d’ultimatum dont on connaît les termes : ou il aurait entrée dans le Conseil d’Etat, ou il quitterait le ministère. Maurepas feignit quelque chagrin de cette résolution, lui rappela les promesses et « les paroles consolantes » de Louis XVI ; il maintint pourtant ses refus et, devant « son obstination, » il engagea Necker à présenter lui-même sa démission au Roi. Obéissant à ce conseil, le directeur se transportait à l’appartement du souverain. Il ne pouvait être reçu, « la porte venant d’être, à ce moment, défendue à tout le monde. » Peut-être se souviendra-t-on que même réponse, dans les mêmes circonstances, avait été faite à Turgot.

Necker, en désespoir de cause, se décidait alors à demander une audience à la Reine, qui se montrait plus accueillante. Il

  1. Journal de Hardy, 16, 17, 20 mai 1781.
  2. D’après la version donnée dans les Mémoires secrets de Bachaumont, Necker aurait déjà, la veille, tenté cette même démarche, qui aurait également échoué. Mais il est plus probable que le nouvelliste fait ici une légère confusion de dates. — Pour le récit qui suit, j’ai consulté le Journal de l’abbé de Véri, le Journal de Hardy, la Notice d’Auguste de Staël sur M. Necker, les Mémoires de Soulavie, les dépêches de Mercy au prince de Kaunitz, publiées par Flammermont, etc., etc.