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d’indulgence et surtout moins d’exactitude à cet égard, de la part du sieur Joly de Fleury, aujourd’hui ministre des Finances[1]. » Bien que peu grave en soi, ce changement dans les habitudes faisait mal augurer du reste.

Il résultait de tout cela une défiance grandissante, un découragement général, qui se propageaient peu à peu dans les couches profondes du pays. « On craignait de voir se renouveler l’affreux chaos que l’on avait vu subsister sous le précédent règne et que deux hommes doués d’une âme honnête, les sieurs Turgot et Necker, avaient osé entreprendre de débrouiller, en faisant succéder l’ordre à la confusion, la confiance publique à l’ancien découragement, par l’intégrité des procédés et des opérations… Conduite admirable sans doute, mais que n’avaient pu soutenir les ennemis de tout bien, les âmes bassement cupides, sans cesse appliquées à fuir la lumière, parce que leur soif ardente de l’or ne peut trouver à s’étancher que dans les plus épaisses ténèbres[2]. » Ce langage du libraire Hardy interprète fidèlement les sentimens de la bourgeoisie parisienne. Aussi, dans ces milieux, une vive appréhension, une suspicion trop justifiée, répondaient à la « joie tumultueuse, indécente » manifestée par certains financiers, joie qui trouvait écho chez certains puissans personnages. Une brochure fort en vogue rappelait, à ce propos, le mot sanglant de Marmontel après le renvoi de Turgot : « Je me représente, d’après tout ce que je vois, l’image d’une troupe de brigands assemblés dans la forêt de Bondy, à qui l’on vient d’annoncer que le grand prévôt est renvoyé. »


D’ailleurs, les satisfaits sont rares. Les regrets populaires sont généralement partagés par les classes plus élevées, sans distinction de nuances. Dans les salons où règne l’Encyclopédie, la tristesse et la déception se font jour, même chez ceux auxquels Necker est le moins sympathique. « Quoique ce ministre n’aimât ni les lettres, ni les gens de lettres, je regarde sa démission comme un malheur. Je le crois bien difficile, ou même impossible à remplacer[3]. » C’est d’Alembert qui parle ainsi, et

  1. Journal de Hardy, juillet 1781.
  2. Ibidem, juin 1781.
  3. Lettre à Caraccioli, 3 juillet 1781.