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par-delà les frontières. La Grande Catherine célébra les mérites de l’ex-directeur général ; l’empereur Joseph fit mieux, il écrivit à Mercy-Argenteau : « Serait-ce un rêve bien ridicule que de vous prier de me dire bien sincèrement si vous croyez que cet habile Genevois serait capable de sortir de France et de se transporter en Allemagne ? » Et l’ambassadeur impérial, tout en répondant à Joseph qu’il doutait fort du succès de cette offre, concluait par ce bel éloge du ministre tombé : « Son administration aurait infailliblement remonté cette monarchie au-delà peut-être de la convenance de l’Europe[1]. »


Voilà quelle fut l’opinion concordante des citoyens français et des cours étrangères. On s’est pourtant demandé, de nos jours, si la démission de Necker fut véritablement, comme le crurent ses contemporains, une calamité nationale. Son administration, sa politique surtout, pendant son premier passage au pouvoir, ont rencontré des juges sévères. Certains ont discuté ses chiffres et contredit ses comptes, critiqué ses méthodes et contesté leurs résultats. Si les fonds publics, a-t-on dit, se sont rapidement relevés à dater de son avènement et ont constamment progressé durant son ministère, les cours sont restés, à tout prendre, plus bas qu’ils n’étaient sous Turgot, et, sauf quelques crises passagères, ils ont continué à monter pendant deux ans après sa chute. A quoi l’on peut aisément répliquer qu’après les ravages de Clugny, et au cours de « cinq ans de guerre ou de préparation de guerre[2], » avoir relevé le crédit et rempli les coffres du Roi, sans recourir à un impôt nouveau, peut être envisagé comme un assez beau tour de force, et que, si la montée des fonds a continué sous le successeur de Necker, il est permis de l’attribuer, tout au moins pour partie, à ses heureuses réformes, à l’esprit d’ordre et d’honnêteté, aux habitudes d’économie, à tous les progrès, en un mot, réalisés par lui dans la gestion des finances du pays. S’il est exact qu’un système d’administration doit être jugé sur ses fruits, le système de Necker ne peut que faire bonne figure dans l’histoire.

Mais l’objet des plus graves critiques est moins l’administration financière de Necker que sa politique générale et ses vues d’homme d’Etat. Quand, dans son Compte rendu au Roi,

  1. Lettres des 12 et 23 juin 1781. — Correspondance publiée par Flammermont.
  2. Note de Necker, citée par Soulavie, passim.