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fait l’écho. Il raconte que Maurepas, le soir de la démission de Necker, rentrant « tout joyeux » au logis, fut questionné par des amis présens sur le choix du futur contrôleur général et qu’il avoua n’y avoir point pensé. « Le cardinal de Rohan, qui se trouvait là par hasard, prononça le nom de Joly de Fleury, et ce fut lui qui fut nommé. » Les quelques lignes adressées par Louis XVI à Maurepas, dont j’ai plus haut donné le texte, suffisent à détruire cette version et à démentir l’anecdote. Dans la réalité, depuis l’origine de la crise, quatre noms étaient discutés entre le Roi et le Mentor : Lefèvre d’Ormesson, Charles-Alexandre de Calonne, Foulon et Joly de Fleury. Pour le remarquer en passant, trois de ces quatre personnages devaient se succéder à la tête des Finances. Mais, dans l’instant, le choix tomba sur le dernier, Jean-François Joly de Fleury, conseiller d’État ordinaire depuis l’an 1760 et récemment entré au Conseil des Dépêches. Il y avait, dit l’abbé de Véri, la spécialité exclusive des « questions de procédure, » et il y montrait « quelque esprit, du travail, une intelligence assez souple. » Par ses alliances avec « de vieilles familles de robe, » et par son attitude au temps du parlement Maupeou, on pouvait espérer qu’il serait persona grata auprès de la magistrature, et cette idée était faite pour plaire à Maurepas. Mais son âge, ses infirmités, la faiblesse de son caractère, le rendaient suspect à l’avance « aux gens droits et désintéressés et aux bons citoyens, » en même temps qu’« agréable aux courtisans et aux agioteurs[1]. » Au reste, on doutait fort qu’il pût rester en place. La plus grande partie du public, au rapport de Hardy, « ne lui donnait guère que trois mois pour mourir de perplexité ou se trouver forcé de demander de lui-même sa retraite. » Il courait dans la capitale le petit billet que voici : « On annonce que Le Glorieux, capitaine Necker, a été coulé bas par les ennemis de l’État, après la plus honorable résistance. Il a été remplacé par Le Joli, capitaine Fleury, qui fait eau de toutes parts. On craint que ce vaisseau, étant déjà fort usé, ne tienne pas longtemps la mer[2]. »

Le trait distinctif de Fleury était l’absence de tout plan préconçu et de toute méthode personnelle. Maintiendrait-il les principes de son devancier ? Ou bien détruirait-il son œuvre ? S’en

  1. Journal de Hardy, mai 1781, et Journal de Véri, même date.
  2. Archives de Coppet, et Journal de Hardy.