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le bon état des routes, l’accroissement du bien-être parmi les ouvriers et les cultivateurs[1]. « Combien, s’écriait Arthur Young, les pays et les peuples que nous avons vus depuis que nous avons quitté la France perdent à être comparés avec ce pays plein de vie ! »

On a même pu soutenir, — et la thèse est fort défendable, — que cette prospérité relative du peuple français précipita l’essor de la Révolution, en rendant les hommes « plus sensibles aux vexations qu’ils subissaient et plus ardens à s’y soustraire. » Le paysan propriétaire dut souffrir davantage de l’injustice de la corvée, de l’inégalité des charges, de toutes les tracasseries fiscales, que le salarié misérable travaillant au compte du seigneur et labourant un champ dont il n’engrange pas la moisson.

Ainsi, dans la période dont j’ai tenté de retracer l’histoire, la France était pareille à un homme travaillé par de multiples maladies, plus ou moins graves, plus ou moins douloureuses, les unes aiguës et les autres chroniques, des maladies dont nulle n’était mortelle et qui toutes étaient guérissables. Elle demeurait vivace ; elle gardait du sang et des muscles. Mais, par-dessus cet organisme encore robuste et sain, le vieil appareil monarchique, qui lui était depuis si longtemps adapté qu’il semblait faire corps avec lui, était comme une armure usée, trouée, disjointe et rongée par la rouille, qui ne tenait plus aux épaules que par la longue accoutumance et qu’une forte secousse achèverait de jeter à terre. Après dix siècles d’existence, la royauté traditionnelle, faute d’avoir su se rajeunir, eût pu s’approprier la parole fameuse de Fontenelle a sa centième année : « Je meurs d’une impossibilité de vivre. »


SÉGUR.

  1. Voyages d’Arthur Young. — Journal de Mme Cradock. — Œuvres du marquis de Mirabeau, etc., etc.