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laissé passer dans son œuvre de son expérience personnelle ? Nous ne connaissons pas assez à fond Aimée de Coigny pour pouvoir répondre, avec toute la précision désirable, en ce qui la concerne, à une question de ce genre ; nous pouvons cependant entrevoir, sous la fiction, plus d’un trait dont l’origine semble bien devoir être rapportée à la vie réelle. J’ai déjà noté la correspondance générale qui existe entre la « vie d’amour » d’Aimée de Coigny et la donnée même du roman d’Alvare. Jusqu’à quel point a-t-elle voulu se peindre elle-même sous les traits de son héroïne, Louise Trevor ? c’est ce qu’il est malaisé de dire. Mais la situation d’Alvare qui, marié à une femme qu’il n’aime pas, s’éprend follement de Louise, ne serait-elle pas — un peu — celle de l’un de ses amans, M. de Boisgelin, par rapport à elle-même ? Lu tout cas, il me semble bien qu’il y a, dans la page que voici, quelque chose de plus qu’une observation générale :

« Qu’il est doux le serment d’aimer toujours ce qu’on aime ! Avec quelle foi vive et tendre ou se prosterne devant le Dieu qui reçoit ce serment ! et la solennité attachée à ce vœu si ardent porte seule, hélas ! quelquefois, un sceau ineffaçable ! Que de personnes, jetées par la suite des événemens dans des positions diverses, étourdies par le mouvement qui les entraine, sont rappelées à leurs propres souvenirs à la vue inopinée d’une célébration de mariage ! La pompe modeste de cette cérémonie, ces fleurs, doux emblèmes de la jeunesse et de l’espérance, ont remis en mémoire à plus d’une femme qu’une fois aussi, entourée de fleurs, éclairée par des flambeaux portés par de jeunes enfans, là, sur ces marches, prosternée au pied de ce même autel, au milieu d’une famille maintenant dispersée, on a juré amour, constance à celui qui devait embellir votre existence ; qu’est-il devenu ? Où sont les témoins de ces vœux ? Que sont devenus ces vœux mêmes ? Hélas ! souvent anéantis et dissipés comme la fumée de l’encens qu’on brûle pour les célébrer !… Qu’y a-t-il de vrai ? Tout est-il donc si passager dans ce monde que l’impression, le sentiment d’aujourd’hui n’est plus demain qu’un songe, et le jour d’ensuite est effacé sans aucune trace ? Il faut la pompe matérielle d’une cérémonie pour rappeler ce qui a fait souvent battre le cœur ; que dis-je ? ce qui a souvent décidé de la vie entière, et sans les signes extérieurs qui rappellent les temps, les sentimens qui paraissent les plus profonds glisseraient sans souvenirs ! ! ! »