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Remords ? Aveu furtif ? Impression fugitive peut-être, mais réelle et sincère, à n’en pas douter ; et l’écrivain a beau ajouter : « Mais où m’entraine cette réflexion sur l’instabilité de la vie ! Bénissons le ciel de cette heureuse facilité à oublier ;… » elle s’est trahie, dans l’un de ses meilleurs momens.

Elle en a de moins bons. Déjà, dans les Mémoires découverts et publiés par M. Lamy, on avait noté plusieurs portraits vivement enlevés, en quelques mots, d’une plume mordante et spirituelle. Ce talent, ici, ne l’a pas quittée. Elle dira d’un savant un peu racorni : « Sa tête était aussi pleine et aussi sèche qu’une table de matières. » Ailleurs, d’un personnage épisodique : « Mme Schipper (c’était son nom) commune, futile, et surtout très bavarde, détestait la campagne, et ne comprenait pas, répétait-elle, à chaque instant, ce qu’on pouvait dire aux arbres, aux champs, ou même aux rustres qu’on y rencontre ; car, selon elle, il fallait bien, pour vivre, dire quelque chose à quelqu’un. » Et que dites-vous encore de ces quelques lignes : « Théodora riait des jalousies de quelques vieilles ladies qui jetaient les hauts cris de la solitude dans laquelle on reléguait leurs seigneuries et leurs rhumatismes, et de l’humeur de mesdemoiselles Picquet, vierges surannées qui, depuis quatre ans, venaient régulièrement essayer de devenir de jeunes épouses et ne trouvaient pas seulement un jour d’illusion depuis l’arrivée de Mme Brithenmore ? » Évidemment, celle qui écrit ainsi, qui sait trouver d’aussi piquantes et cinglantes formules, a pu être, comme elle s’en vante, « une âme passionnée : » elle devait avoir en partage plus d’esprit que de charité, plus de malice, et même de méchanceté, que de bonté, plus de passion que de tendresse. « Sa conversation, écrivait d’elle Lemercier, éclatait en traits piquans, imprévus et originaux. Elle résumait toute l’éloquence de Mme de Staël en quelques mots perçans. » Nous l’en croyons sans peine. Et si l’on retrouve un jour cette « collection de portraits sur nos contemporains les plus distingués par leur rang et par leurs lumières » dont nous parle encore Lemercier, et dont elle serait l’auteur, il y a tout lieu de penser que sa « sincérité » et sa « vivacité » ont dû y faire merveille.

Ce n’est pas seulement une femme d’un esprit vif et mordant que nous révèle, — ou nous confirme, — le roman d’Alvare, c’est une mondaine très experte, et qui, — elle partage ce mérite