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blessé les mœurs et la religion ? Ici, par exemple, le cœur enflammé pour un autre que celui auquel on est lié par l’hymen, il faut mourir de douleur, ou former des vœux homicides contre son époux !… » Cette Théodora avait épousé un peu étourdiment un ami de son père ; mais son cœur ayant parlé pour un autre, son mari, trop généreux pour vouloir contrarier une passion aussi violente, lui avait rendu sa liberté en faisant prononcer le divorce contre lui-même. A la bonne heure ! voilà un mari accommodant, et « sensible, » et qui s’entend à développer chez sa femme « toutes les qualités élevées de la nature humaine, » — celles sans doute qu’Aimée de Coigny a déployées dans ses lettres « lascives » à Mailla Garat ! Voilà « un vrai Anglais ! » Quel agréable pays ! et quelle aimable religion que celle qui favorise d’aussi « honorables actions ! » Mais avec le catholicisme, il en va tout autrement. Cette sombre religion n’entend rien à la « nature ; » elle n’accepte pas plus le divorce que l’union libre ; elle « afflige le sentiment le plus doux ; » enfin, elle a, sinon inventé, tout au moins approuvé et recommandé cet état évidemment contre nature, le célibat ecclésiastique, et surtout la vie monastique. Il y a, dans le roman d’Alvare, deux moines dont les propos et l’attitude sont parfaitement désobligeans : l’odieux le dispute au ridicule dans leur rôle ; et l’auteur n’a pas à chercher bien loin l’explication de leur duplicité : « Le manteau de fourberie dont s’enveloppe ce jeune moine tient à l’état contre nature dans lequel il est enchaîné, disait Alvare. » Toutes les difficultés que rencontre Alvare dans sa vie politique lui sont suscitées par des moines ou des prêtres dont « l’astuce » ne connaît guère de bornes. A Santo-Domingo, il ne vient à bout d’une vieille querelle, aussi grave dans ses conséquences que futile dans ses origines, entre hiéronimites et barnabites, qu’en envoyant les barnabites défricher une partie sauvage de la Floride : « Je me rappelai, déclare-t-il, à cette occasion, la différence de conduite des jésuites en Europe et au Paraguay ; l’astuce, la fraude déshonoraient les moyens auxquels leur ambition avait recours en Europe, tandis qu’au Paraguay, où leur puissance n’était point contestée, leurs talens se déployaient pour l’affermir et avaient procuré au pays une véritable prospérité. »

Cette philosophie religieuse est un peu rudimentaire, et elle n’est pas très originale. Elle a d’ailleurs ses timidités, à côté de