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semblent reposer sur bien des illusions. Si j’ai été le premier à soutenir qu’on faisait ici le possible, qu’on rassemblait les ressources et que tout n’était pas perdu, je crains aujourd’hui qu’on ne s’abandonne de nouveau à une confiance que rien, hélas ! ne motive et qui peut nous ménager de nouveaux désastres.

Je ne sais si vous avez lu et médité comme il le faut le très remarquable rapport de Trochu aux maires de Paris. Il se montre préoccupé de l’ardeur déraisonnée des esprits : parce qu’ils n’ont pas encore vu l’ennemi sous leurs murs, parce qu’ils font l’exercice depuis deux mois, les gardes nationaux veulent marcher au combat. En province on cède au même mouvement : parce qu’on achète des armes et qu’on fait les préparatifs, parce que les mobiles montrent un bon esprit, parce que le gouvernement commence à montrer de l’énergie et de l’intelligence, que la discipline se rétablit et que les forces se concentrent. On ne connaît plus d’obstacles. Hélas ! à la première rencontre on en rencontrera et on retombera dans les découragemens. Je ne vois pas le présent en clair, et l’avenir aussi me paraît bien noir. Je me raidis dans une sorte de confiance artificielle et aux plus mauvais momens je ne veux désespérer de rien : mais quand j’ai le temps de réfléchir, le mal me paraît si profond que je doute si nous serons capables du régime énergique et prolongé qu’il faut pour nous guérir.

… J’ai des détails assez précis sur l’émeute ridicule qui a éclaté chez vous et s’est reproduite dans diverses villes du littoral. Etudiez avec attention ce qui s’est passé sous vos yeux, vous y reconnaîtrez en petit et par le côté ridicule ce qui est arrivé en grand dans toute cette guerre et se reproduit sous toutes les formes dans notre révolution. Une question, toujours irritante, celle des subsistances, préoccupe la population déjà surexcitée par la misère et par la peur. Quelques mauvais drôles qui ne cherchent que des occasions de troubler en profitent et sèment des bruits alarmans ; ils trouvent pour les aider tout ce qui dans la ville a une vieille rancune à purger, et dans le nombre, il se trouve deux ou trois coquins dont les intérêts sont engagés et qui ont quelques louis à risquer, espérant, si la chose réussit, les regagner en nature. Voilà les élémens de l’émeute, et une fois réunis, il n’y a plus, comme on dit, qu’à laisser bouillir. Cela couve un jour ou deux ; la foule prend le mouvement et marche d’elle-même ; les meneurs disparaissent