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l’étonnement ni l’abattement de celle de Sedan. Mais je comprends vos impressions.

Je ne désespère pas. Le mouvement de l’opinion en Europe revient à nous et l’Allemagne même est loin d’être aussi prononcée pour les annexions que le ferait croire le langage des journaux et les brutalités du parti militaire. Bref, il y a, je le crois, une action diplomatique possible. L’homme qui nous dirige ici est parfaitement capable de la conduire. S’il va un résultat à atteindre, il l’atteindra. Quant à l’avenir… l’avenir… il dépendra de nous-mêmes et de nous seuls. Mais, chère mère, chasse pour tes enfans tout souci de ton cœur. Si des épreuves viennent, nous nous serrerons les uns près des autres. Tu sais comment j’ai vécu et travaillé. Je ne tiens à aucun avantage extérieur. S’il fallait prendre une carrière plus lucrative, je le ferais sans la moindre difficulté. Dieu merci ! Je crois que ma plume pourrait me faire vivre, et du moment que j’aurais quelques heures chaque jour pour lire et faire mes chers romans, je considérerais ma vie comme bien réglée.

Pas de nouvelles sur la Loire ; nos armées se replient, je crois, et elles font bien. On dit qu’en cas de départ nous irions a Aurillac. Mais s’il y a armistice, tout changera.

M. Thiers est aujourd’hui à Versailles.


Tours, 7 novembre.

A sa mère.

J’ai attendu jusqu’aujourd’hui pour vous écrire. Je voulais vous envoyer des nouvelles. Je ne puis, hélas ! vous en envoyer que de très tristes. On assure que l’armistice est rejeté. En voyant la négociation se prolonger, j’avais espéré qu’elle aboutirait. Il fallait pour cela que l’Allemagne laissât voter l’Alsace et la Lorraine et de plus qu’on réglât la très difficile question du ravitaillement de Paris. C’est sur ce dernier point, dit-on, que les Prussiens auraient élevé des prétentions inacceptables.

Les sentimens qu’on éprouve en ce moment en Allemagne sont très mélangés : voici comme je les résumerais. Les exigences s’accroissent avec notre défaite et les charges de la guerre. Une grande partie du public éclairé, presque tout ce qui est professeur et journaliste, veut l’annexion de l’Alsace, « territoire allemand. » Le parti militaire qui domine en ce moment est