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L’Angleterre serait-elle un jour forcée de choisir entre son Empire blanc et son Empire de couleur ? C’est ce que suggérait M. James Edmond, directeur du Bulletin, de Sydney, dans un bien curieux article que publiait la National Review et qui mérite d’être cité, parce qu’on y voit s’étaler à la fois le naïf orgueil et la profonde ignorance des démagogues coloniaux. La création de la flotte australienne, dit-il, a pour but :


… en premier lieu de conserver l’Australie à l’état de pays de Blancs contre tous envahisseurs, et, en second lieu (en second lieu seulement), de concourir à la défense de cet Empire, qui contient une majorité de gens de couleur. Pour une très grande partie des Australiens, une conquête allemande serait un fort petit malheur en comparaison d’une nombreuse immigration de nos soi-disant paisibles et loyaux concitoyens de l’Inde ou d’ailleurs. Et même, si la conquête de l’Australie par l’Allemagne était le seul moyen de s’opposer à une telle invasion, elle serait la bienvenue…

Il m’apparaît que le jour viendra où il faudra expliquer, une fois pour toutes, aux gens de couleur qui forment la grande masse de l’Empire qu’ils sont des êtres inférieurs (on les traite déjà comme tels) et qu’ils ne seront jamais rien d’autre. Et il faudra expliquer la même chose aux amis et alliés de la Grande-Bretagne en dehors de l’Empire.

On ne peut servir indéfiniment Dieu et Mammon. Il est difficile d’éduquer, d’élever l’homme de couleur pendant des années, et de le convaincre ensuite qu’il n’est pas plus avancé en matière politique qu’avant d’avoir été élevé.


La conclusion, c’est que l’Empire doit faire de la défense de l’Australie contre toute intrusion d’immigrans de couleur, — Chinois, Hindous, Birmans ou Japonais, — un principe aussi sacré que la défense de Londres contre une invasion armée ; sans quoi l’Australie s’en séparera.

L’auteur de cet article a sans doute l’ouïe trop faible pour avoir perçu les coups de tonnerre de Moukden et de Tsoushima, qui ont eu cependant leur répercussion jusqu’aux colonnes d’Hercule, plus éloignées du Japon que ne l’est l’Australie. Livrés à eux-mêmes, les Australiens apprendraient vite à coups de canon, puisqu’ils ne veulent pas l’entendre autrement, ce qu’il faut penser de l’infériorité de certaines gens de couleur. On peut se demander si, étant donné la faiblesse de l’immigration que cherchent stupidement à restreindre les syndicats ouvriers qui règnent en Australie, il est possible que ce pays résiste toujours à la pression des Jaunes, qui le peupleraient bien plus rapidement. Mais s’il est une puissance qui puisse l’en défendre, c’est assurément l’Angleterre, et l’Angleterre seule.