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créancier importun. Il fallut l’arrivée de la police pour le sauver.

Cela fit un gros émoi dans la ville. On avait peu de distractions dans Mantoue à la fin du XVe siècle, et on ne laissait point passer de telles histoires, sans en tirer tout ce qu’elles pouvaient donner de gloses et de récriminations. Justement, l’État était privé de son chef, le marquis Gonzague, alors occupé en Lombardie à rassembler les troupes de la Ligue contre les Français. La ville était gouvernée par Isabelle d’Este, et l’on ne savait encore comment cette jeune femme de vingt et un ans conduirait son peuple. On envoya donc des courriers au marquis pour lui raconter l’affaire, avec des plaintes de tous les partis, de Daniele Norsa, entre autres, et, la distance aidant, on grossit tellement ce fait-divers qu’on eût réussi à en faire une petite révolution, si la marquise n’y avait pris garde. Blessée au vif qu’on oubliât qu’elle était là et qu’elle était régente, elle coupa court à toutes ces intrigues. « Les inventeurs de ces méchans racontars, écrit-elle à son mari, le 30 juin 1495, montrent tant de malignité qu’ils ne se sont pas fait scrupule d’aller troubler votre repos d’esprit, tandis que vous êtes occupé du salut de l’Italie, ce qu’ils n’auraient pas dû faire, quand même ils n’auraient pas eu de considération pour mon honneur ou pour celui de mes conseillers. Je prie Votre Altesse de se tenir l’esprit en repos et de s’appliquer uniquement à son entreprise militaire, car pour les choses de l’État, avec l’aide de ces magnifiques seigneurs et magistrats, je les gouvernerai de telle sorte que vous n’en souffrirez aucun dommage, et que tout le possible sera fait pour le bien de vos sujets. Et si quelqu’un vous entretient, par lettre ou de vive voix, de désordres dont je ne vous aurai pas averti, vous pouvez être sûr que c’est une bourde, car comme je donne audience, non seulement aux fonctionnaires, mais à tous ceux de vos sujets qui ont à me parler, tant qu’ils le veulent, aucun trouble ne peut se produire sans que j’en sois avertie.  »

L’ « entreprise militaire » dont il est question, ici, valait en effet qu’on s’y « appliquât tout entier.  » C’était la plus importante qu’on eût tentée en Italie, depuis deux siècles, et de longs temps devaient se passer sans qu’on en vît une semblable. Le 31 mars précédent, à Venise, une ligue s’était conclue entre les trois États les plus puissans d’Italie : Home, Venise et Milan,