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mères ne fussent rassurées sur le sort de leurs fils, que lorsqu’ils étaient au feu. On partait en roulant des pensées féroces, mais il semble que le grand air, la vue des champs et des bois, la chevauchée sur l’herbe humide du matin, l’épanouissement de la nature, — tout ce qu’on voit au second plan des Batailles de Paolo Uccello ou des marches triomphales de Benozzo Gozzoli, — vînt épanouir les cœurs de ces hommes farouches et sensibles, aussi incapables de résister à un soudain ressentiment, dans leurs querelles privées, que de le prolonger parmi les labeurs d’une campagne et la vue claire des dangers… On se défiait, on ‘escarmouchait, on chapardait, on jouait au scartino et l’on se payait sur les habitans du retard des soldes toujours lentes à venir. Parfois, une de ces escarmouches dégénérait, sans que l’on sût pourquoi, en un hourvari général. Il en résultait, pendant quelques heures, des gestes, de la poussière et du bruit. Le soir venu, chacun regagnait ses cantonnemens, au flambeau, et les chefs des deux partis s’avançant, l’un vers l’autre, se félicitaient mutuellement d’être sortis de la bagarre sans accident. Il n’y avait de poussée un peu sérieuse que si les groupes flairaient chez l’adversaire quelque riche butin, ou si l’on se trouvait en présence d’étrangers, comme les Français et les Suisses, qui, faute de connaître les règles du jeu, poussaient droit devant eux et tuaient à tort et à travers.

C’était justement ce qu’il y avait à craindre en cet été de 1495, pour l’armée de la ligue. Comme elle s’assemblait dans le Parmesan, sous les ordres de Gonzague, on apprit que les Français ayant quitté Naples le 20 mai et résolu de rentrer en France, s’approchaient par les montagnes. Ils arrivaient lentement, mais ils arrivaient. On les avait vus à Lucques le 24 juin, à Pontremoli le 29 ; ils avaient déjà franchi le pas de la Cisa ; ils descendaient donc dans la plaine et les pointes de leur avant-garde, commandée par le maréchal de Gyé, paraissaient déjà sur les pentes qui dominent Fornovo, ou Fornoue, au débouché de la vallée du Taro. C’était de leur part une résolution extraordinaire, et bien que toute l’armée italienne se fût établie là, pour leur barrer la route, c’était le dernier chemin par où l’on supposait qu’ils dussent passer. On s’y était installé pour qu’ils n’eussent point l’idée d’y venir, ni d’envahir le Parmesan et le Milanais, mais non pas pour se battre. Charles VIII, pensait-on, allait choisir pour rentrer en France la route la plus