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Jusque-là, leur campagne d’Italie n’avait été qu’une promenade militaire et, bien qu’avertis que maintenant toutes les puissances se levaient et s’unissaient contre eux, ils n’en voulaient rien croire. La chose était tellement invraisemblable, en effet, que leur ambassadeur à Venise, le sieur d’Argenton (Philippe de Commynes), l’avait vue s’accomplir, sous ses yeux, sans la tenir pour vraie et avait jeté sa barrette à terre, de colère, en l’apprenant. Mais lorsqu’en descendant les dernières pontes des Apennins, sur Fornovo, ils virent tout d’un coup la plaine toute blanchie par les tentes et les pavillons des Confédérés, ils commencèrent à soupçonner que le retour ne serait point si aisé que la venue. La vallée où ils débouchaient, le val di Taro, était fort étroite, un quart de lieue environ : les ennemis la barraient entièrement, à huit kilomètres plus bas, et il n’y avait pas d’autre issue. Pour percer ce barrage épais maintenant de quarante mille hommes, ils n’étaient que neuf mille en état de combattre. Ils arrivaient exténués par le passage des montagnes sous une chaleur torride, et à demi mourans de faim, ayant manqué de vivres depuis qu’ils étaient entrés dans la Lunigiana. Les Suisses, particulièrement, étaient fourbus. Par point d’honneur, ils n’avaient pas voulu abandonner la grosse artillerie, quatorze grandes coulevrines, qu’aucune bête de trait n’eût pu convoyer dans la montagne : ils s’y étaient donc attelés, à raison de plusieurs cents hommes par pièce, les avaient hissées sur les sommets, redescendues en les retenant, sur les pentes, sans en gâter une seule, exploit que le Vergier d’honneur célèbre comme « exécrable peine, merveilleux travail et très pénétrant ennuy, attendu la façon de procéder, le lieu estrange et la chaleur grande et terrible que lors se faisait…  » L’honneur était sauf, mais la faim pressait, le ciel où se préparait un orage accablait et l’on était fort mal à son aise. Prendre un autre chemin, il ne fallait pas y songer. Passer par le Tortonese eût été plus dangereux encore, revenir en arrière eût été une honte et d’ailleurs, en arrière, il n’y avait rien à manger. En avant, on voyait s’étendre la riche Lombardie, le potager de l’Europe, où l’on se referait. On pensait vaguement à négocier. Si les Italiens avaient bien voulu laisser passer le Roi et lui donner, pour de l’argent, du pain et du fourrage, il aurait tenu présentement les lauriers pour choses inutiles et surérogatoires. En sorte que, des deux armées en présence, l’une eût bien