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voulu n’être pas contrainte à se défendre et l’autre ne pas avoir à attaquer…

Pourtant, au contact, les choses changèrent. Les premières escarmouches entre avant-postes furent favorables aux Italiens et leur donnèrent du cœur. Le marquis Gonzague avait, parmi ses troupes de cavalerie légère, des espèces de Cosaques, à demi sauvages recrutés par Venise en Dalmatie et en Albanie, qu’on appelait des stradiots, admirables centaures, fourrageurs intrépides, grands coupeurs de têtes, couchant sur la dure, ne demandant guère à manger, sinon pour leurs montures dont ils avaient grand soin, toujours prêts à chanter pouilles à l’ennemi. Dès qu’il sut les premiers Français descendus au village de Fornovo, au pied de la montagne, il lâcha contre eux ses stradiots. Ceux-ci n’en firent qu’une bouchée et revinrent avec des têtes de Français ou de Suisses au bout de leurs lances, ce qui leur fut grand profit, car ces têtes leur étaient payées, comme pièces de gibier, par le trésorier payeur de Venise, selon le tarif établi d’un ducat, soit 8 fr. 60 environ par tête, et grand honneur, car c’était le premier succès qu’on remportait sur l’envahisseur. On n’imagine pas à quel point toute l’armée en fut exaltée et Mantoue avec elle. Isabelle d’Este en complimentait son mari, dès le 2 juillet, en ces termes : « Maintenant que j’ai appris votre succès sur l’ennemi, je ne veux pas perdre un instant pour vous en féliciter, et j’espère que Dieu vous donnera d’autres victoires. Je vous remercie plus que je ne saurais dire pour votre lettre, et je vous prie de prendre garde à vous, car je suis toujours inquiète quand je pense que vous êtes en campagne, bien que je sache que c’est là où vous avez toujours ambitionné d’être. Je me recommande à Votre Altesse mille et mille fois. De celle qui vous aime et à qui il tarde de voir votre Altesse. — ISABELLE manu propria.  » Et, pour le garder mieux qu’il ne se gardait lui-même, elle lui faisait tenir, par le courrier suivant, un Agnus Dei, enchâssé dans une petite croix d’or, en lui recommandant « de le porter au cou,  » « avec la pensée et l’espoir,  » dit-elle, « que Votre Altesse devra, par la vertu de la croix et du bois qui y est contenu, en même temps que par la dévotion qu’elle a envers la Sainte Vierge, se conserver saine et sauve…  » Et elle faisait mettre en prières pour son mari tout le clergé de sa capitale.

Entre temps, les courriers se succédaient sur la route de