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San Simone, entre l’église des Saint-Simon et Saint-Jude et le reste de la rue. La place qu’occupait, il y a cent quatorze ans, le chef-d’œuvre de Mantegna est encore visible, tout encombrée qu’elle soit de monumens funéraires. Le cadre tient encore au sol, montre le trou béant du tableau arraché… On pourrait donc l’y remettre. Il y revivrait de sa vie cachée, édifiante et consolatrice de tableau d’autel. Il recevrait moins de visites qu’au Louvre, mais plus d’hommages, moins de passans, mais plus de pèlerins. Peut-être même, parfois, quelque vieille femme, ne sachant point qui est Mantegna, ni ce qu’est Fornoue, apercevrait dans ce tableau ce que les critiques et les historiens, dans leurs savantes controverses, oublient d’y voir : une Sainte Vierge, une protectrice, et, sans y penser, reproduisant au naturel une des figures qui l’environnent, s’agenouillerait devant elle et dirait un Ave Maria

Telle est l’histoire de cette Vierge, peinte en souvenir d’une victoire qui n’a pas été remportée, en expiation d’un sacrilège qui n’a pas été commis, et aux frais de quelqu’un qui ne croyait pas en elle. Mais qu’importe la naissance d’un chef-d’œuvre  ? Sa vie seule importe et la vie qu’il nous suggère. D’une injustice envers un pauvre juif et de la vantardise d’un chef battu, est sortie une vision si belle qu’elle inclinera toujours les âmes pensives à pratiquer la justice et à aimer l’humilité.


ROBERT DE LA SIZERANNE.