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l’hymne qu’un lyrisme tendre, mais noble et pur, anime. Ceux-là ne comprennent le fils d’Alcmène et ne l’imaginent que l’arc ou la massue en main. Ils oublient le fuseau, et que dans les intervalles de ses rudes besognes, le héros se permettait sans doute quelques douceurs. Encore une fois, celles-ci n’ont rien de mièvre ni de fade. Elle est vraiment antique, l’ode amoureuse : elle l’est par des nuances de rythme ou de métrique, par les modes et les cadences, par les inflexions de la ligne vocale ; par le caractère général, ou l’éthos (il est permis ici de parler grec), elle l’est encore ; elle l’est enfin, — en deux mots, que nous avons employés tout à l’heure, — par la lettre comme par l’esprit. Et puis, elle est un chant, un chant qui se dessine et se déroule ; parmi tant de choses brèves et concentrées, elle dure et s’épanouit. Dans l’ensemble et comme sur le fond d’une œuvre très noble, très grave, un peu sévère, elle ne fait pas l’effet d’une tache, mais d’une parure, ou d’une fleur.

M. Muratore a modulé, modelé, tantôt en force et tantôt en douceur, avec des effets alternés de lumière et d’ombre, cette cantilène d’amour. C’est un chanteur et c’est un artiste que M. Muratore. Le héros qu’il nous a montré n’est point un Hercule de foire, mais plutôt de musée : antique par la silhouette et le relief plastique et, dans la composition du rôle, par une vigueur jamais brutale ni massive. Il a donné de plus à tout son personnage un air sombre, fatal. Et cette mélancolie encore est très antique. Je ne sais plus quel poète grec la prête à l’archer divin lui-même après sa victoire. L’éloge de la voix et du talent de Mme Litvinne n’est plus à faire. On doit savoir à la cantatrice un gré tout particulier de chanter finement, à mi-voix, lorsqu’il le faut ; de ne rien sacrifier, en de tels passages, aux exigences d’un vaisseau trop vaste et funeste, et de placer ainsi la vérité d’une œuvre, fût-ce d’un détail de cette œuvre, au-dessus de la vanité des applaudissemens.

Dans le rôle de la princesse Iole, Mlle Gall a tort de prodiguer et de « pousser » sa voix. Mlle Charny (la suivante et magicienne Phénice) a raison de donner seulement la sienne. Les chœurs de l’Opéra n’ont jamais été meilleurs, et pour cet opéra j’aurais souhaité que le style des décors et des costumes ressemblât davantage au style de la partition.


Le petit ballet, tout petit, qui s’appelle la Roussalka, n’a de russe que le nom, le sujet et, au premier acte, les costumes ; la musique, à peine, et pas du tout la mise en scène et la chorégraphie.