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le même néo-romantisme dont Gautier, Baudelaire et Leconte de Lisle avaient été les plus brillans initiateurs. Le sentiment de la profonde blessure nationale ne s’éveilla que peu à peu. Le temps seul nous révéla que la défaite n’avait pas été un épisode, mais qu’elle continuerait, que nous serions battus et tous les jours indéfiniment, jusqu’à l’heure où nous aurions restauré le patrimoine français dans son intégrité. J’oserai dire qu’aujourd’hui, après quarante ans, la vérité nationale est plus évidente aux nouveaux venus et qui n’étaient pas nés à l’époque de Sedan qu’à ceux qui vécurent ces cruelles heures. Elles avaient passé si vite qu’elles leur apparurent d’abord comme un accident, formidable sans doute, mais la vie, à Paris par exemple, avait si vite repris son cours, et si pareille dans son décor ! Pourquoi eût-elle été différente dans son expression intellectuelle ? C’est bien aussi le péril que Vogüé avait diagnostiqué de l’étranger. Comment le conjurer, ce péril ? Est-il possible de détourner, dans un autre sens, le courant d’une littérature ? Vogüé le crut, comme le croyait, à cette même date, Ferdinand Brunetière. Bien d’étonnant si cette communauté de foi les unit d’une amitié dont la dédicace des Morts qui parlent perpétue le témoignage.

Le Roman Russe, paru en 1886, marque la première campagne, — cette métaphore s’impose de nouveau ici, — du Vogüé délivré de toute attache officielle et venu à Paris pour y accomplir la mission qu’il s’était donnée, ou, mieux, qu’il avait reconnue être la sienne. Sauf une incursion dans la politique active, il ne devait plus être jusqu’à la fin qu’un homme de lettres, dans le sens le plus haut de ce noble terme, usurpé par tant d’indignes. Quand il s’applique à un Vogüé comme à un Brunetière, il reprend sa véritable valeur. Il représente une des grandes formes de l’action civique. J’aime à réunir ces deux amis, qui furent aussi les miens, dans une égale vénération pour ce que je ne crains pas d’appeler leurs vertus de métier. Ce trait encore leur fut commun : ils devaient faire leur œuvre en faisant leur vie. Le secrétaire d’ambassade n’avait plus assez de fortune pour que son travail littéraire lût un luxe de sa pensée. Il eut le courage de l’organiser avec une patience et une régularité de non ouvrier, — encore un terme si noble dès qu’il est traduit dans sa vérité profonde ! — Il accepta, des années durant, de donner, à la Revue des Deux Mondes, un