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problèmes religieux, moraux et sociaux ne sont des problèmes ni de physique, ni de chimie, ni de mathématiques, ni de biologie. Voilà l’idée, si simple, croirait-on, et si neuve, qui ouvre la via media. Elle a créé ce mouvement du traditionalisme par positivisme dont l’influence régénératrice suscite aujourd’hui les plus fortes manifestations françaises, en littérature aussi bien qu’en sociologie, dans l’apologétique religieuse et dans la politique. La réconciliation de la Science et de la Foi, celle des énergies prolétariennes et de l’ordre national sont en puissance dans cette doctrine.

De tels développemens de psychologie collective ne s’accomplissent pas sous une seule influence. Parfois même ceux qui les ont déterminés avec le plus d’efficacité n’en prévoyaient pas exactement la direction. Taine s’est-il jamais douté que son grand livre d’histoire s’ajouterait à ceux de Donald, de Joseph de Maistre, de Le Play et deviendrait un des bréviaires de la jeune école monarchiste et catholique ? Eugène-Melchior de Vogüé, lui, était bien un traditionaliste par le plus infime de son cire, mais il avait cet autre trait en commun avec Chateaubriand : il croyait disparues pour toujours les conditions où s’était élaborée sa tradition à lui. Comme Chateaubriand, il faisait volontiers crédit à la nouveauté. Il y avait entre eux cette différence : chez l’auteur de René, cette attitude n’était trop souvent qu’un ménagement de sa double gloire. Il voulait qu’on dît de lui : « Il a été par honneur le serviteur fidèle d’une cause vaincue, mais il l’a été, désabusé, parce que son génie comprenait toutes les aspirations du monde moderne. » Chez Vogüé, au contraire, cette complaisance à des formes de société contraires à ses hérédités provenait du plus généreux scrupule. Il semble qu’il ait toujours appréhendé cette paralysie de l’action par le préjugé, l’une des misères des castes dépossédées. J’explique ainsi son recul devant certaines conclusions et son indulgence pour certaines chimères. Le secret amour avec lequel il a peint, dans les Morts qui parlent, la figure du marquis de Kermaheuc, révèle de quel côté allait tout son cœur. Il a redouté, s’il y cédait, de se sentir, comme le vieux gentil homme qu’il nous montre, à Versailles, « fini dans les choses finies. » Peut-être vaut-il mieux qu’il ait eu cette appréhension, de même qu’il vaut mieux que Taine se soit cru, simplement, un entomologiste considérant la France comme un insecte. Etant