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participation, sans même qu’il eût été ni consulté ni averti d’avance. Et cependant, en bonne justice, du procédé qui le froissait, Maurepas n’eût dû accuser que lui-même. En travaillant à renverser Turgot, il n’avait pas songé à s’assurer d’un successeur. Tout entier à sa haine et emporté par sa passion, il n’avait vu qu’une chose : satisfaire sa rancune et se délivrer d’un rival. La chose faite, étourdi d’un si rapide succès, il était, le jour même, parti pour Pontchartrain, afin d’y goûter un repos bien gagné et d’y savourer sa vengeance. Rien ne pressait, d’ailleurs, se disait-il. Bertin, l’homme à tout faire, prenait, selon les rites, l’intérim des finances. On avait tout le temps de réfléchir sur la situation.

Mais il avait compté sans les intrigues de Cour et les ambitions en éveil, sans la hâte des partis, sans la faiblesse du Roi. Dans le petit coup de théâtre qui se produit presque au lendemain du départ de Maurepas, on reconnaît encore la main cachée, l’infatigable main de Choiseul et de sa séquelle. Jean Etienne Bernard de Clugny, intendant de Guyenne[1], qui, le 21 mai, fut subitement porté au contrôle général, passait, non sans raison, pour un ami du duc et, plus encore, de son cousin de Praslin, sous les ordres duquel il avait servi autrefois au ministère de la Marine[2]. Les grands acteurs, toutefois, restèrent dans la coulisse, et l’instrument direct de cette élévation fut un personnage secondaire, le sieur d’Ogny, intendant des postes royales, dont l’influence occulte était grande sur Louis XVI. Ennemi personnel de Turgot, duquel il se montrait jaloux, c’était d’Ogny, autant qu’il y paraît, qui avait inventé et machiné naguère le stratagème des lettres fausses, dont on s’était servi pour perdre dans l’esprit du Roi le ministre réformateur. Il eut recours, dit-on, à une supercherie pareille pour convaincre le jeune souverain des talens de Clugny, de sa haute supériorité, pour lui faire croire, en plaçant sous ses yeux des pièces et des documens fabriqués, que son ami, l’intendant de Guyenne, jouissait de la confiance de ses administrés et possédait, dans sa province, une popularité réelle. Pour mieux assurer le succès, il mettait dans son jeu Thierry, le valet de chambre du Roi, qui avait l’oreille de son maître. C’est par

  1. Il avait auparavant exercé les fonctions d’intendant de la généralité de Perpignan.
  2. Journal de Hardy, 13 et 14 mai 1716.