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ce duumvirat ne donnait pas les bons résultats attendus, en quoi il faisait preuve de sagesse et de prévoyance.


Si l’avènement de Taboureau, escompté de longue date, ne provoqua dans le public ni enthousiasme ni surprise, on ne saurait en dire autant de l’« adjoint » choisi par Maurepas pour « soulager » le contrôleur de la partie la plus difficile de sa tâche. Le nom de celui-là ne pouvait manquer d’éveiller une sensation qui, chez certains, allait jusqu’au scandale. Un étranger, un hérétique, un banquier qui, jusqu’à ce jour, n’avait jamais touché aux affaires de l’Etat, il n’en fallait pas tant pour piquer les curiosités et surexciter les esprits. Jacques Necker, né à Genève en 1732, d’abord simple commis dans la maison de banque de l’un de ses concitoyens établi à Paris, était rapidement devenu, par son activité, par son intelligence, par sa probité scrupuleuse, par son mariage aussi avec la belle Suzanne Curchod, par sa fortune enfin, aussi grosse qu’honnêtement acquise, un personnage en vue, un personnage considérable dans la société de ce temps. Syndic de la grande Compagnie des Indes, puis résident de la République de Genève à Paris, il avait ainsi pris contact avec les financiers, avec les gens de Cour, avec les hommes d’Etat.

Les circonstances l’avaient servi ; il en avait tiré parti avec un habile à-propos. Au plus fort d’une crise financière, il avait provoqué un entretien avec Choiseul sur les affaires publiques, un entretien dont le ministre « avait été vivement frappé, » dont il avait toujours conservé le souvenir[1]. De là datait l’estime que le duc professait pour le banquier genevois ; de là l’appui qu’il lui donnera pour le faire monter au pouvoir. Quelques années plus tard, Necker eut l’occasion de rendre un service direct à l’Etat, par un prêt important consenti au Trésor dans un cas d’une extrême urgence. On a retrouvé l’autographe du billet que lui adressait l’abbé Terray, contrôleur général, en janvier 1772 ; le ton en est humble et pressant : « Nous vous supplions, y lit-on, de nous secourir dans la journée. Daignez venir à notre aide, pour une somme dont nous avons un besoin indispensable. Le moment presse ; vous êtes notre seule ressource ! » Sur ces adjurations, Necker envoyait un million. Il

  1. Notice d’Albert de Staël sur M. Necker.