Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rameau vert, laurier admirable à cueillir ; et elles m’inspirèrent une voix divine, afin que je pusse dire les choses passées et futures. » S’éveillant de ce rêve, Hésiode a compris sa mission. Il s’écrie : « Pourquoi rester autour du chêne et du rocher ? » Le pâtre est devenu poète.

Voilà la vision apollinienne dans son ingénuité et son authenticité primitive. Libre à la critique moderne de n’y voir qu’une froide allégorie ou un jeu de l’imagination surexcitée. La science de l’Esprit, dégagée de toute superstition scolastique ou populaire, y voit un reste de l’antique voyance, une inspiration supérieure qui s’adapte à l’esprit du voyant. Comme Homère, Hésiode appelle les Muses les filles de Mnémosynè, mot qu’il faudrait traduire par Sagesse de la Mémoire. Mnémosynè représente en réalité cette mémoire universelle de la nature, cette lumière astrale, élément subtil, éthéré, où flottent les images du passé. Les neuf Muses d’Hésiode apparaissent comme les messagères intelligentes de cette lumière, douces éveilleuses des plus hautes facultés humaines, semeuses subtiles des sciences et des arts dans les cerveaux humains. Il va sans dire que l’imagination libre des poètes, à commencer par celle d’Homère, a fortement travaillé sur ces données primitives. Mais, dans l’ensemble et par ses motifs essentiels, la source de la mythologie et de l’épopée grecque est bien cette vision astrale que les Grecs appelaient la lumière d’Apollon.

Mais Apollon ne se montre pas seulement régulateur de la cité, modèle des beaux éphèbes, inspirateur de la poésie. Il est encore le dieu de la divination et de la sagesse. Ces deux derniers attributs font de lui le dieu pan-hellénique par excellence, le chef spirituel du tribunal des Amphictyons, l’arbitre suprême des peuples grecs. Par ces fonctions, il intervient dans la destinée des individus et des nations. C’était son rôle le plus visible, le plus important. Par là, il se montrait présent et actif dans tout le monde antique. Car beaucoup d’étrangers, les tyrans de Sicile et de Lydie, et jusqu’aux pharaons d’Egypte venaient le consulter. Mais il ne rendait ses oracles que par ses prêtres et ses prêtresses dans son sanctuaire. Athènes était le cerveau de la Grèce, mais on ne trouvait qu’à Delphes son cœur palpitant. Allons donc à Delphes.

Que nous voilà loin de la ville de Pallas, dont la citadelle domine librement la plaine de l’Attique, entre le sourire