Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entonnaient le péan. Ils songeaient au mythe, selon lequel l’aigle de Jupiter, chargé de trouver le centre du monde, vint planer sur les cimes du Parnasse et, plongeant dans le gouffre, se posa sur la montagne sacrée. Cet aigle, n’était-ce pas maintenant le temple lui-même, flanqué de ses deux roches, pareilles à des ailes dressées et flamboyantes et portant dans son cœur le verbe d’Apollon, évocateur de toutes ces merveilles ?


III. — LA PYTHONISSE

Apollon prophétisait à Delphes par la Pythie. Cette institution remontait dans la nuit des temps. Certains auteurs attribuent son origine à l’effet troublant des vapeurs, qui sortaient jadis de la fente d’une grotte où se trouvait le trépied de la Pythonisse et où elle prononçait ses oracles au milieu de violentes convulsions. Un berger réfugié par hasard en ce lieu se serait mis à vaticiner et l’expérience, renouvelée avec succès, aurait conféré la popularité au sanctuaire primitif. La chose est fort possible. Il est sûr que dès un temps immémorial on prophétisait à Delphes. Eschyle fait dire à la Pythie, au début des Euménides, qu’avant Apollon on rendait des oracles à Delphes au nom de trois autres divinités : la Terre, Thémis et Phoebé. Cela suppose des siècles pour chacun de ces cultes. Les Grecs donnaient le nom de Sibylla à la plus ancienne Pythonisse, prêtresse de Phoebé, et lui attribuaient ces paroles étranges : « Quand je serai morte, j’irai dans la lune et je prendrai pour visage le sien. Je serai dans l’air, comme un souffle. Avec les voix et les rumeurs universelles j’irai partout. »

L’établissement du culte d’Apollon à Delphes marque une organisation plus savante de la prophétie. Les Pythonisses sont choisies dès l’enfance par un collège de prêtres, élevées au sanctuaire comme des nonnes dans un cloître et tenues à une chasteté rigoureuse. Pour-ces fonctions, on préfère les natures rustiques et simples, mais on cultive la réceptivité de leurs facultés psychiques, et c’est le pontife d’Apollon portant le titre de prophète qui interprète généralement leurs oracles. Mais la source de cette sagesse et la pratique de cet art demeurent un mystère impénétrable au public. Plutarque, prêtre d’Apollon à Chéronée et philosophe platonicien au second siècle de notre ère, laisse entrevoir le secret et pour ainsi dire