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Le terrain était un élément de dépense dont les seigneurs d’autrefois ne se préoccupaient guère. Dans nos grandes villes quadruplées, quintuplées depuis cent ans ; — en 1801, Lyon avait 109 000 habitans, Marseille en 1789 en avait 76 000 et Bordeaux 83 000 ; — dans Paris surtout, le terrain arrive à représenter une somme égale et parfois supérieure à celle de la maison de rapport qui l’occupe. Valeur bien capricieuse d’ailleurs : dès le règne de Louis XVI, un appartement de quatre pièces coûtait six fois plus cher autour du Palais-Royal qu’auprès du Luxembourg. De nos jours, le mètre vaut I 040 francs dans le quartier Gaillon et 24 francs dans le quartier Saint-Fargeau. Il vaut, dans telle avenue, 600 francs du côté de l’ombre et 1 000 francs du côté du soleil.

Remarquons qu’il n’existe aucun rapport entre le prix et le charme positif des choses : à Paris, la possession d’un jardin de 2 000 mètres carrés, qui représentait un supplément de loyer de 600 francs sous François 1er et de 4 000 francs sous Louis XIV, dans un quartier à la mode, on représente 80 000 aujourd’hui. Or ce jardin est toujours le même intrinsèquement, et la jouissance relative qu’il procurait à l’habitant des rues étroites et tristes de jadis était supérieure ; le contraste était plus grand pour ce privilégié entre la verdure qui lui appartenait en propre et la laideur ambiante des voies publiques, qu’il n’est pour le Parisien de 1912 qui se promène le long de larges avenues plantées d’arbres et rencontre un peu partout des fleurs et des gazons banaux.

La classe riche avait des promenades privées qu’elle n’a plus ; le peuple au contraire a des parcs et des squares qu’il n’avait pas ; leur total atteint la centaine. Cette évolution s’est faite librement, par l’accroissement de la richesse générale qui, d’une part, a poussé les détenteurs de terrains à se restreindre volontairement pour se procurer d’autres plaisirs, de l’autre a permis à la ville de tirer de ces loyers grossis des contributions avec lesquelles elle s’est transformée. Le citadin actuel, qui n’achète plus de lanterne « pour se conduire le soir dans les rues, » ignore au prix de quels efforts les cités cloaques, noires et puantes, ont été métamorphosées en une maison où le ménage se fait chaque jour sans que le maître puisse à peine s’en apercevoir.

De cet effort social, de cette transformation urbaine, la