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Ce qui nous rassure davantage, c’est la présence de personnages respectables comme, par exemple, Hobhouse (lord Broughton), qui a été toute sa vie et qui était déjà un homme sérieux. Il y a, je crois, beaucoup à en rabattre de la légende de Newstead, comme de toutes les « horreurs » qu’on prêtait à Byron et de celles qu’il se prêtait volontiers à lui-même, — c’est son ami Tom Moore qui nous met au courant de cette faiblesse et nous ne tarderons pas à rencontrer sur notre route des faits qui justifient cette assertion. Cette prétention au crime est un des traits morbides de l’époque ; elle a provoqué, dans la littérature de l’âge suivant, une procession de forçats vertueux et d’assassins sublimes que j’ai vus disparaître sous les huées. Byron fut atteint, l’un des premiers, de cette manie, qui allait jusqu’à l’hallucination. Il était sincère jusqu’à un certain point et, quand il perdait conscience des sensations réelles, il se réfugiait dans la poésie où ses fantômes prenaient vie et où ses visions s’illuminaient. Traduisez ainsi le début imposant, — un peu trop imposant, — de Childe Harold. Cet exilé volontaire qui adresse aux rivages de sa patrie un lugubre et solennel adieu, ce moderne Juif Errant qui va porter sous tous les climats son inguérissable mélancolie est, tout simplement, un jeune homme qui monte sur le paquebot de Lisbonne pour aller faire, avec un ami, son tour d’Europe, autant, du moins, que le permettent Napoléon et le Blocus continental : ce qui est parfaitement correct et ce qui donnera à ses nombreux créanciers le temps de se calmer. Ne croyez pas un mot de ce qu’il vous dit lorsqu’il érige en crimes ses polissonneries d’étudiant, lorsqu’il dépeint ses amis comme de honteux parasites et les bonnes de Newstead comme des courtisanes de grande marque. Quant au désespoir d’amour qui le dévore, vous le connaissez : c’est un flirt sans conséquence avec une petite demoiselle de province, à laquelle il ne pense plus depuis quatre ans. La poésie ne serait-elle qu’un grossissement ?

Suivez-le dans ce voyage qui ressemblerait à tous les voyages que font les Anglais de notre temps avec Murray ou Bædeker en poche, si la guerre ne projetait, sur les scènes qu’il traverse, un vague et lointain reflet d’incendie. Ses aventures, sauf une ou deux ne me semblent pas dépasser la mesure ordinaire. En Espagne et en Grèce, il est bien traité de ses logeuses ou de leurs filles. A Malte, il échange d’agréables propos