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difficile. Les circonstances ont été plus fortes que lui et si rapides qu’elles l’ont entraîné sans lui laisser le temps de se recueillir, d’interroger le passé, d’étudier ses dossiers, en un mot d’apprendre ce qu’aurait dû savoir d’avance le ministre auquel revenait le lourd héritage de M. Cruppi. Il a certainement traversé de cruelles épreuves et si l’amertume de son cœur a fait une explosion si bruyante, c’est qu’elle était grande et qu’il n’a pas pu la contenir davantage. Toute sa carrière s’était passée dans l’administration : il y avait montré de rares qualités d’intelligence, de finesse, de souplesse, qualités qui auraient certainement fait de lui un bon diplomate s’il s’y était pris plus tôt et s’il avait été plus libre. Mais l’expérience lui a fait défaut et la liberté encore davantage. Une volonté plus active, plus hardie, plus entreprenante que la sienne s’est mêlée aux affaires dont il aurait dû conserver la direction. Il s’en est aperçu, il en a souffert, mais il a été impuissant à s’en dégager, sinon au dernier moment par sa démission. Cette démission n’arrange malheureusement pas nos affaires. Pour être franc, elle ne les dérange pas non plus beaucoup. Elle ne peut pas porter un coup mortel à un ministère qui est déjà mort et qu’on laisse en place pour assister plutôt que pour présider au vote définitif d’un traité qui ne fait doute pour personne. Le seul mal, mais il est grand, que nous cause l’incident qui vient de se produire est de diminuer encore la considération de notre gouvernement. La situation, en se prolongeant, devait amener un choc entre M. Caillaux et M. de Selves : il est regrettable que le ministère ait duré jusque-là.

Revenons un peu en arrière. La démission de M. de Selves, avec les circonstances qui l’ont motivée, attire en ce moment toute l’attention : voilà pourquoi nous en avons tout de suite entretenu nos lecteurs, tandis que l’ordre chronologique aurait dû nous faire parler d’abord du renvoi au Sénat du traité franco-allemand et de la grande Commission qui a été chargée de l’étudier. Très grande commission en effet, trop grande peut-être, à cause non seulement du nombre de ses membres, mais de leur qualité : elle se compose de vingt-sept commissaires élus solennellement par le Sénat lui-même au bleu de l’avoir été, suivant le mode ordinaire, par ses bureaux, et parmi eux figurent tous les anciens présidens du Conseil, les anciens ministres des Affaires étrangères, les anciens ambassadeurs ou ministres plénipotentiaires que comprend la haute assemblée. C’est un cénacle imposant ! On a dit qu’il en rejaillirait beaucoup de lumières et nous voulons le croire ; la Commission a tout ce qu’il faut pour