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qu’on peut lui trouver ne sauraient empêcher de reconnaître et de juger ses torts. Son goût naturel du plaisir s’est augmenté dans des proportions inquiétantes ; il l’entraîne aujourd’hui à de véritables folies. Les fêtes succèdent aux fêtes, plus coûteuses les unes que les autres ; en septembre 1777, une seule soirée de Trianon se solde par une note de 400 000 livres. Ce sont, tantôt avec les Polignac, tantôt et plus souvent avec le Comte d’Artois, des « parties » continuelles, des bals et des courses « en masque, » des promenades aux flambeaux, de trop libres soupers qui se prolongent fort avant dans la nuit. « Point qui me fait le plus de peine, écrit l’Impératrice[1], c’est que tout cela se fait sans le Roi. »

À cette existence affolée, la Reine perd peu à peu cet instinct de décence et ce penchant vers l’honnêteté qui, à son arrivée en France, lui avaient autrefois valu l’estime et le respect d’une Cour foncièrement corrompue. Grâce aux propos, aux exemples surtout, de ceux qui vivent dans sa familiarité journalière, elle devient, chaque jour davantage, indifférente, complaisante même, aux faiblesses et aux vices qui s’étalent sous ses yeux et mérite les reproches que lui adresse, en pure perte d’ailleurs, son ancien confident, le digne abbé de Vermond : « Je passe[2]que vous ne preniez garde ni aux mœurs, ni à la réputation d’une femme, que vous en fassiez votre amie uniquement parce qu’elle est aimable ; mais que l’inconduite en tout genre, les réputations tarées ou perdues, soient un titre pour être admis dans votre société[3], voilà qui vous fait un tort infini ! »


À cette aggravation dans le laisser aller correspond une recrudescence de prodigalité. En deux ans, les frais d’écurie pour la maison de Marie-Antoinette ont augmenté de 30 000 livres. Quant aux charges nouvelles, aux sinécures et aux pensions, créées pour satisfaire l’insatiable appétit des amis et des familiers, le total dépasse annuellement 240 000 livres. Le comte de Mercy-Argenteau, tout en déplorant ces abus, constate, à la décharge de Marie-Antoinette, que, si elle réclame ces faveurs pour ceux qui lui sont chers, « c’est aussi souvent par embarras

  1. Lettre du 31 octobre 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Note jointe par Mercy à sa lettre du 17 septembre 1776. — Ibid.
  3. Allusion à la princesse de Guéménée.