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noire, c’est à peine si parfois quelque raillerie piquante, quelque mot aigre-doux, rappelle de loin en loin l’ancienne antipathie, légers accès d’humeur, vite apaisés par l’habile souplesse du ministre, par l’officieuse intervention du Roi. En matière politique, le calme règne présentement dans le ménage royal, et c’est à quoi Louis XVI attache un prix particulier. Il est bien, sur ce point, le docile élève de Maurepas, car le mot d’ordre du vieillard, depuis le commencement du règne, est de se montrer indulgent pour les inconséquences privées, afin de détourner la Reine d’exercer son activité sur les affaires publiques. Cette tactique, pour l’instant, semble avoir plein succès.


III

Nulle part dans toute l’Europe, — sans même en excepter Versailles, — la situation difficile que je viens d’esquisser n’est plus exactement connue et plus amèrement déplorée qu’à la cour impériale d’Autriche. Par les rapports précis et consciencieux de Mercy-Argenteau, par les lettres confidentielles de l’abbé de Vermond, la vieille Marie-Thérèse et son fils, l’empereur Joseph II, sont tenus au courant des faits et gestes quotidiens des jeunes souverains qui règnent sur la France et des plus menus incidens de leur intimité. Ce qui leur est révélé de la sorte les remplit de chagrin, de confusion et d’inquiétude. La sollicitude maternelle se double, chez l’Impératrice, d’un sentiment d’humiliation profonde. Elle souffre à la pensée que, dans cette cour française, dont la frivolité, la légèreté, la « ridiculité, » comme elle dit volontiers en son patois tudesque, sont, de longue date, pour elle et pour son fils, un sujet habituel de blâme et de scandale, la plus frivole, la plus légère, soit une princesse de la maison d’Autriche. Cette idée la poursuit et blesse cruellement son orgueil.

Elle craint aussi, — et Joseph II le redoute plus encore, — que cette déplorable conduite, le désordre qui en résulte, l’effréné gaspillage d’argent, n’affaiblissent rapidement la puissance d’une nation alliée, dont l’Empire a besoin pour contenir l’ambition de sa dangereuse voisine, la Prusse.

Pour ces raisons diverses, et d’ailleurs toutes intéressées, la cour de Vienne souhaite ardemment voir la cour de Versailles