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revenir à des sentimens et des pratiques plus sages. Elle ne négligera rien pour parvenir à un si heureux résultat. Tels sont assurément la première origine et l’objet principal de la visite de Joseph II chez le Roi son beau-frère, effectuée au printemps de 1777. Les lettres publiées du prince et de ses confidens ne laissent là-dessus aucun doute.


Fils aîné de l’empereur François Ier de Lorraine, mort en 1765, et depuis lors associé par Marie-Thérèse au gouvernement de l’Empire, mais encore contenu et bridé par une mère jalouse du pouvoir, Joseph II jusqu’alors possédait une autorité plus honorifique qu’effective. De cette pénible dépendance il prenait une revanche en exerçant sur le reste de sa famille, et principalement sur ses sœurs, un contrôle un peu despotique, s’érigeant en censeur de leurs propos et de leurs actes, ne leur ménageant pas les remontrances bourrues et les reproches sévères. Tel il s’était montré, depuis son avènement au trône, à l’égard de la reine de France, ce dont était, entre elle et lui, résulté une certaine froideur. Las de morigéner en vain, voyant les lettres sans effet, peut-être, pensait-il, des entretiens en tête à tête, des observations faites de bouche, produiraient-ils de meilleurs fruits. C’était du moins son espérance.

Par malheur, l’humeur du souverain et sa nature d’esprit devaient faire douter du succès de sa diplomatie, surtout pour discuter avec une créature quelque peu nerveuse et sensible. Instruit, d’esprit ouvert, simple dans ses façons, il gâtait ces bonnes qualités par une sécheresse de cœur, par une rudesse de ton, une brusquerie d’allures, une mésintelligence des nuances, bien faites pour blesser les aines délicates. Deux fois veuf, il fuyait les femmes, méprisait leur commerce et s’en vantait très haut : « Je rétrograde furieusement en galanterie, et l’hibouisme me gagne, écrivait-il à son frère Léopold[1]. La compagnie des femmes est, ma foi, insoutenable à un homme raisonnable à la longue, et je peux dire que souvent les propos des plus huppées et spirituelles me tournent l’estomac. » Cette prétention à être constamment sérieux allait jusqu’à la pédanterie, et son souci de tout approfondir donnait quelque lourdeur à sa conversation.

  1. Lettre du 13 juillet 1772. — Maria-Theresia und Joseph II, publié par d’Arneth.