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L’annonce de cette visite fut accueillie, ainsi qu’on devait s’y attendre, avec une visible froideur par les hôtes de Versailles. « La Reine, écrit Mercy[1]au vieux prince de Kaunitz, premier ministre de l’Empire, la Reine est combattue entre le désir de voir son auguste frère, qu’elle aime bien véritablement, et la crainte qu’il n’aperçoive de trop près tout ce qu’elle présume qu’il trouvera à redire au système de conduite de la Reine, et un jour elle en est convenue avec moi. » Louis XVI, de son côté, — encore que pour d’autres raisons, — se sent vaguement inquiet du jugement que pourra porter sur les gens et les choses, et notamment sur les rapports conjugaux du ménage, cet incommode beau-frère. Les ministres, enfin, redoutent l’ingérence de Joseph dans les affaires publiques de France, soit intérieures, soit extérieures, la pression qu’il peut exercer sur un prince jeune et faible pour l’entraîner dans la politique de l’Empire. Vergennes rédige même à l’avance, à l’intention du Roi, un mémoire détaillé, où il énumère les questions que, dans leurs entretiens intimes, pourra soulever l’Empereur, et indique les réponses qu’il conviendra de faire[2].

Kaunitz, dans une lettre à Mercy, résume assez exactement cet état des esprits, dont il prend son parti avec une bonhomie narquoise : « 11 m’a paru, dit-il[3], tout simple que la Reine, le Roi et son ministère n’aient exprimé que très sobrement le plaisir que devrait leur faire le voyage de l’Empereur. En voici, selon moi, les causes : la Reine a peur d’être sermonnée, le Roi appréhende que l’Empereur ne le mette dans l’embarras en lui parlant affaires, et le ministère craint que l’Empereur n’insinue des choses favorables aux uns et défavorables aux autres. Et moyennant tout cela, il n’y a pas lieu de s’étonner que tous ces gens-là aient reçu un peu froidement une nouvelle, que certainement ils auraient accueillie tout autrement, s’ils avaient su ou pu croire qu’il n’arriverait rien de tout cela. »

Marie-Thérèse elle-même, malgré l’importance qu’elle attache à voir sa fille ramenée vers une existence plus sérieuse, n’est pas très rassurée sur la façon dont s’y prendra Joseph, sur le succès de ses semonces. « Je ne compte guère sur le bon

  1. Lettre du 15 novembre 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Mémoire du 12 avril 1777. — Archives nationales K. 164.
  3. Lettre du 1er janvier 1777 à Mercy. — Correspondance publiée par Flammermont.