Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

part de son succès. « J’ai passé pour un oracle sans l’être, confesse-t-il à son frère. Je quitte ce royaume sans regret, car j’en avais assez de mon rôle. » Les derniers jours du mois de mai furent employés par lui aux préparatifs du départ et à la réalisation du but essentiel du voyage.

A la veille de quitter Paris, se ressouvenant sans doute des conseils de Kaunitz, il s’occupe, en effet, de rédiger, pour la laisser à Marie-Antoinette, une instruction écrite, où elle trouvera un guide moral pour se conduire désormais dans la vie. Voici comment la Reine en informe l’Impératrice : « J’avouerai[1]à ma chère maman qu’il m’a donné une chose que je lui ai bien demandée et qui m’a fait le plus grand plaisir : c’est des conseils par écrit qu’il m’a laissés. Cela fait ma lecture principale dans le moment présent. » En dépit des affirmations de Marie-Antoinette, on a droit de concevoir des doutes sur l’efficacité de cette longue homélie, édifiante à coup sûr, mais filandreuse, déclamatoire, d’une sensiblerie larmoyante et d’une vague phraséologie, où manque essentiellement l’accent de la sincérité : « Vous êtes faite pour être heureuse, vertueuse et parfaite ; mais il est temps, et plus que temps, de réfléchir et de poser un système qui soit soutenu. L’âge avance ; vous n’avez plus l’excuse de l’enfance. Que deviendrez-vous, si vous tardez plus longtemps ? Une malheureuse femme, et encore plus malheureuse princesse ; et celui qui vous aime le plus dans toute la terre, vous lui percerez l’âme ! C’est moi, qui ne m’accoutumerai jamais à ne pas vous savoir heureuse… » Joseph comptait beaucoup sur l’effet de cette éloquence : « Vous me ferez plaisir, écrit-il à Mercy quelques jours après son départ, de me dire si mes sermons ont produit quelque fruit et changement dans la vie de la Reine. »

A en croire Marie-Antoinette, elle eût été d’abord profondément touchée. Rien, disons-le, n’empêche de supposer que, sur cette âme douce et frivole, ces marques d’intérêt, ces adieux solennels, aient fait d’abord quelque impression, une impression vite effacée. On le croirait d’après ses premières lettres : « Madame ma très chère mère, le départ de l’Empereur m’a laissé un vide, dont je ne puis revenir. J’étais si heureuse pendant ce peu de temps, que tout cela me paraît un songe dans

  1. Lettre du 14 juin 1777. — Correspondance publiée par d’Arneth.