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aujourd’hui dans la structure même de notre intelligence, telle que la vie antérieure l’a faite ? Elles continueraient d’agir inaperçues jusque sur le travail de révision entrepris pour y porter remède. Non, c’est du dedans, par un effort d’épuration immanente, que doit s’accomplir la réforme nécessaire. Et la philosophie a comme premier rôle d’instituer une réflexion critique sur les commencemens obscurs de la pensée, en vue de porter la lumière au sein des spontanéités initiales, mais sans prétention vaine à sortir du courant où de fait elle est plongée.

Déjà une conclusion se dessine : du sens commun, le fond est sûr ; la forme suspecte. En lui est possédé, au moins virtuellement et à l’état de germe, tout ce qu’on pourra jamais atteindre du réel, car le réel se constate et ne se construit pas. Tout revient à faire le départ du construit et du constaté. Aussi la recherche philosophique ne peut-elle être qu’un retour conscient et réfléchi aux données de l’intuition première. Mais à ces données, le sens commun, issu d’une préoccupation pratique, a sans doute fait subir une déformation intéressée, artificielle dans la mesure où elle est industrieuse. C’est l’hypothèse fondamentale de M. Bergson, et elle porte loin : « Beaucoup de difficultés métaphysiques naissent peut-être de ce que nous brouillons la spéculation et la pratique ; ou de ce que nous poussons une idée dans la direction de l’utile quand nous croyons l’approfondir théoriquement, eu enfin de ce que nous employons tes formes de l’action à penser. » Le travail de réforme consisterait donc à libérer notre intelligence de ses habitudes utilitaires, en nous efforçant pour cela tout d’abord d’en prendre nettement conscience.

Remarquez à quel point les présomptions sont en faveur de notre hypothèse. La vie organique, envisagée soit dans la genèse et la conservation de l’individu, soit dans l’évolution de l’espèce, est orientée naturellement vers l’utile ; mais l’effort de pensée fait suite à l’effort de vie ; il ne s’y ajoute pas du dehors, il le prolonge, il en est la fleur ; ne doit-on pas s’attendre dès lors à ce qu’il en conserve les habitudes ? Et en effet qu’observons-nous ? La première lueur d’intelligence humaine, aux temps préhistoriques, nous est révélée par une industrie : le silex taillé des cavernes primitives marque l’étape initiale sur la route qui devait aboutir un jour aux plus hautes philosophies. Toutes les sciences, d’ailleurs, ont débuté par des arts