Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement qu’en général on ne s’en est pas bien rendu compte, et aussi qu’on a bientôt dévié. Mais sur ce point, je ne saurais insister sans de trop longs détails et force m’est de renvoyer au IVe chapitre de l’Evolution créatrice, où le lecteur trouvera toute la question traitée.

Une remarque, cependant, doit être faite encore. La philosophie, telle que la conçoit M. Bergson, implique et réclame durée ; elle ne vise point à s’achever d’un coup, car la réforme d’esprit qu’elle suppose est de celles qui ne s’accomplissent que peu à peu ; la vérité qu’elle apporte ne se donne pas pour une essence intemporelle qu’un génie assez puissant pourrait à la rigueur apercevoir entière d’une seule vue ; et cela même semble très nouveau. Certes, je ne veux pas médire des systèmes. Chacun d’eux est une expérience de la pensée, un moment de sa vie, une méthode pour explorer le réel, un réactif qui en décèle un aspect. La vérité s’analyse en systèmes comme la lumière en couleurs. Mais le nom seul de système évêque l’idée statique l’un édifice terminé. Ici rien de pareil. La philosophie nouvelle veut être une démarche autant et plus qu’un système. Elle réclame d’être vécue non moins que pensée. Elle exige que la pensée travaille à vivre sa vie propre, une vie intérieure et rapportée à elle-même, effective et agissante et créatrice, mais non plus tournée vers l’action au dehors. Et, dit M. Bergson, « elle ne pourra se constituer que par l’effort collectif et progressif de bien des penseurs, de bien des observateurs aussi, se complétant, se corrigeant, se redressant les uns les autres. »

Voyons au moins comment elle commence et quel en est l’acte générateur.


III

Comment atteindre l’immédiat ? Comment réaliser cette perception du donné pur, où doit tendre, disions-nous, la première démarche du philosophe ? Si ce doute n’est pas éclairci, le but proposé restera devant nos regards comme un idéal abstrait et mort. Voilà donc le point qui réclame présentement explication. Car il y a une difficulté sérieuse sur laquelle pourrait tromper l’emploi même du mot « immédiat. » L’immédiat, en effet, au sens qui nous occupe, n’est pas du tout ou du moins n’est plus pour nous le passivement subi, le je ne sais quoi