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A Monsieur Fromentin père.

Paris, lundi matin [août 1850].

Cher père,

Il y a dans tes observations une partie de critique très fondée et que j’accepte. Je sais parfaitement qu’il y a dans mon Camp excès de pâte un peu partout ; ce tableau a été fait sur un tableau manqué, enlevé d’abord en pochade, c’est-à-dire en pleine pâte, puis retravaillé et fini sans aucune précaution de faire disparaître les rugosités du travail. J’avoue que, ne travaillant pas pour la postérité dans ce moment, je m’occupe assez peu des soins matériels de la peinture, pourvu que mon impression soit rendue, et que je cherche mon but sans trop me préoccuper des moyens.

Du reste, le petit tableau, qui est fait dans un système tout contraire, doit te prouver que ce n’est point une recherche chez moi que cette exécution massive, mais un accident de mon travail. Je sais très bien aussi que tout n’est point arrêté, précisé comme le pourrait exiger l’œil curieux de détails de l’observateur ; cependant je crois que, devant un tel sujet, on ne se préoccupe pas assez de l’ensemble et qu’on ne se rend pas compte de ceci : qu’il y a dans une confusion pareille une mesure de laisser aller et d’imprévu qu’il faut garder sous peine de tuer la vie, de pétrifier le mouvement et d’isoler chaque objet dans une exécution trop rendue ; ceci n’est point une étude de nature morte.

Quant à la localité grise, j’y tiens pour la raison que je l’ai cherchée et que j’ai senti deux tableaux dans ce ton et sous ce soleil blanc.

On se fait une très fausse idée de la lumière, et je crois que communément on la voit jaune, ce qui est une erreur. La lumière pure du milieu du jour, quand elle n’est colorée ni par aucun nuage, ni par le brouillard, est blanche ; loin de colorer, elle a le propre de décolorer les objets. C’est dans le Midi surtout qu’on se rend compte de cette propriété de la lumière intense ; je m’attache depuis un an à poursuivre cet effet-là. On m’a su gré l’année dernière des intentions et des essais que j’ai faits en dehors des habitudes trop ordinaires ; j’y persiste.

Du reste, ceci n’aura de sens et de valeur qu’à la condition