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habitudes, mais les idées à répandre et qui ne trouvent que résistance, et les idées à recevoir, d’où viennent-elles et quelles sont-elles ? — Oh ! l’incomparable bonheur que tu as eu, cher ami, d’entraîner ta mère avec toi dans ton milieu, de la mêler à ta vie, de la confondre dans tes amitiés, de la rendre témoin, complice en quelque sorte, de ta vie bonne ou mauvaise ! Vous n’avez pas chacun vos joies et chacun vos souffrances. Vous ne faites pas deux et trois et quatre, comme nous faisons, nous. Et, n’est-ce point assez qu’il y ait entre nos pères et nous les différences qui viennent de l’âge, du caractère et des tempéramens, sans que des hasards de position, des conjonctures extérieures, des convenances seulement quelquefois, créent encore entre nous des séparations si profondes,… Il y a longtemps que j’en souffre et je puis dire avec certitude, aujourd’hui, que les divisions qui se sont produites entre nous à l’époque de mon émancipation et à propos de mes idées, quand j’ai voulu les affranchir, n’ont pas eu d’autre cause. Elles sont l’effet du milieu différent, du point de vue opposé.

Je ne me sais aucun gré de la générosité de certains sentimens que je me connais ; de la simplicité que je veux mettre en pratique dans ma vie ; d’une certaine indépendance de caractère ou d’opinions qui, traitée d’étourderie par ici, est une réelle qualité quand elle s’applique avec réflexion dans les actes. J’en suis redevable moins à ma nature qui est commune à bien d’autres, qu’aux conditions propices dans lesquelles il m’a été donné par le hasard de me développer et de vivre ! Aussi, en vérité, je n’accuse personne, et je ne me glorifie point de me sentir, en quelque manière et par les côtés vraiment estimables de l’esprit, supérieur à d’autres que je vois ; mais, ne pouvant mettre ce prix à notre réconciliation, à notre union complète, de m’ensevelir avec eux dans leur existence, je regrette avec désespoir de ne pouvoir les faire entrer dans la nôtre.

Rien de nouveau, d’ailleurs, et ceci est le résumé de mes impressions, plutôt que le résultat de faits produits. Ma pauvre mère est bien malheureuse, elle sent tout cela, elle se l’explique, elle en souffre ; ceci fait précisément, encore plus que l’absence, le réel et secret tourment de sa vie. Qu’y faire ?

Je l’aurais avec moi, qu’il me faudrait bien peu de temps pour l’initier tout à fait et l’amener à moi, — mais ?…