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comprendre[1]. Ce qu’il faut que tu saches seulement, c’est qu’il n’y a ni porte extérieure, ni porte aux chambres. Nous avons simplement une couverture en manière de portière à la nôtre. Nous sommes à l’étage, car toutes les maisons de Laghouat en ont un, même assez élevé. On y monte par un escalier de pierre ou de bouc, vrai casse-cou qu’il faut beaucoup de précautions pour escalader ou descendre sans danger. Notre chambre, par extraordinaire, est blanchie, mais le plancher est de boue, tantôt en poussière comme une route, tantôt en boue liquide ; aux heures où l’on peut abattre la poussière, nous y vidons un bidon d’eau. Il y a un châssis à la fenêtre, tendu d’une toile d’emballage qui n’amortit pas assez le jour, mais qui, du moins, laisse jour et nuit circuler un peu d’air. Je dis toujours notre, car M. Casins, le peintre, partage ma chambre… M. Bellemare en occupe une pareille sur la terrasse et porte à porte. M. Casins couche sur deux tréteaux, moi sur mon lit de cantine, sans matelas, bien entendu, mais sur la toile du fond on m’a prêté deux petits draps ; j’ai ma couverture de cheval pliée en deux, moitié dessous moitié dessus, je suis sérieusement très bien…

Je t’ai dit nos habitudes ; elles sont réglées sur les habitudes du climat. A quatre heures et demie, je m’éveille à la diane, Martin fait le café maure ; le café pris, nous partons. Nous déjeunons à l’heure où sonne la retraite ; à deux heures, sonne de nouveau la diane du milieu du jour ; mais je suis déjà au travail à ce moment-là. Seulement, il faut suivre l’ombre étroite des petites rues ; au surplus, la chaleur est jusqu’à présent tolérable et ne dépasse guère nos étés de France. Les soirées sont fraîches, les matinées le sont aussi.

Au soir. — Je ne te reviens que pour un moment, car nous avons dîné plus tard, je tombe de besoin de dormir. La soirée est fraîche, excepté dans nos chambres. Du vent, mais une nuit sans nuage, jamais je n’ai vu tant d’étoiles. Les palmiers font autour de la maison le bruit de la mer, bruit qu’accompagnent toute la nuit les innombrables murmures des grillons et des grenouilles. Le désert est ce que je l’ai vu, peut-être un peu plus fauve, un peu plus morne ; passant du gris au brun clair, et terminé à l’extrême limite par une ligne à peine discernable de couleur violette. Les montagnes, de forme bizarre, sont d’un

  1. Un Été dans le Sahara, p. 115 et suivantes.