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souterraines, c’est-à-dire intérieures, par laquelle s’ouvre la porte du monde invisible et de l’Au-delà. La première enseignait à révérer les Dieux selon les rites et les lois consacrées, la seconde introduisait dans leurs secrets redoutables et retrempait l’âme du myste aux sources primordiales. De là le nom de « Grandes Déesses » qu’on accordait seulement à Démêler et à Perséphone. Les savans d’aujourd’hui refusent d’admettre que cette religion des Mystères était en Grèce non seulement la plus sacrée, mais encore la plus ancienne. Ils la considèrent comme une fabrication tardive et artificielle, entée sur une mythologie purement naturaliste. Cette doctrine a contre elle les plus solennels témoignages de l’antiquité elle-même, non seulement ceux des poètes, d’Homère à Sophocle, mais encore ceux des plus graves historiens, d’Hérodote à Strabon et des deux plus grands philosophes grecs, Platon et Aristote. Tous ils parlent des Mystères comme de la religion la plus haute et la plus sainte, tous ils les font remonter aux temps préhistoriques et parlent d’une antique religion sacerdotale qui régnait en Thrace, bien avant Homère, et dont témoignent les noms légendaires mais éloquens et significatifs de Thamyris, d’Amphion et d’Orphée. Les théories arbitraires des historiens et des mythologues modernes, qui raisonnent sous le joug d’idées matérialistes préconçues, ne sauraient prévaloir contre de telles autorités. Elles résistent moins encore à la poésie merveilleuse et suggestive qui se dégage de ces vieux mythes, quand on ose les regarder en face et s’inspirer de leur indestructible magie.

Déméter, dont le nom veut dire la mère divine, la mère universelle, était la plus ancienne des divinités grecques, puisque les Pélasges d’Arcadie l’honoraient déjà sous la figure d’une déesse à tête de cheval, tenant une colombe dans une main et un dauphin dans l’autre, signifiant par là qu’elle avait enfanté à la fois la faune terrestre, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer. Elle correspondait donc à ce que nous nommons la Nature. Quand un homme d’aujourd’hui prononce le mot de Nature, si c’est un lettré, il se figure un paysage de mer, d’arbres ou de montagnes ; si c’est un savant, il voit des instrumens de physique et de chimie, des télescopes et des alambics, il se représente des mouvemens d’astres et des groupemens d’atomes, il dissèque le cadavre du Kosmos dont il n’a qu’une conception mécanique, une idée morte, et remue sa