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alors une sensation de solidité, de concentration et de puissance. Il se figurait l’intérieur de la terre, la couche du Styx, plus froide que la mort, la couche brûlante du feu et le centre magique d’attraction qui retient le globe en une masse compacte. Or ce pouvoir, le Grec l’appelait Pluton. Il faisait de Pluton le centre de gravité du Kosmos, comme il sentait dans -son propre corps le centre de gravité de son être, qui absorbe et condense les forces centrifuges.

Zeus, l’aura astrale du monde ; Poséidon, son corps vital ; Pluton, son corps physique, voilà constituées, par la seule vertu de l’intuition contemplative, la Trinité cosmique et la trinité humaine. Mais il y manquait encore l’essentiel : le principe organique, l’esprit créateur, qui joint les parties en un tout homogène, qui les pénètre de son souffle et y fait circuler la vie. — Il y manquait la conscience, le Moi. Or, pour les Grecs, le moi cosmique d’où sort le moi humain, le Dieu en action dans l’univers, — c’était Dionysos.

Selon la tradition des sanctuaires, ce fut Orphée, un Dorien de Thrace, initié en Egypte, mais inspiré par le génie de son peuple et par son Daïmôn, qui fonda les Mystères de Dionysos et répandit son culte en Grèce. Orphée était le fils d’une prêtresse d’Apollon. Né dans l’enceinte d’un temple cyclopéon, dominant un océan sauvage de forêts et de montagnes, ayant traversé victorieusement les épreuves redoutables de l’initiation thébaine, il avait bu aux sources les plus hautes le mâle sentiment de l’unité divine, de la spiritualité transcendante du Dieu souverain. Mais, si parfois son cerveau se glaçait sous les effluves de l’Ether divin, son cœur brûlait, comme un volcan, d’un immense amour pour l’Eternel-Féminin qui se manifeste dans les formes multiples de Déméter-Adama, de la Grande-Mère, de l’éternelle Nature. Fleurs, arbres, animaux, autant de fils et de filles de cette Déméter, conçus, formés par Elle, sous l’influx et la pensée des Dieux. Et dans la Femme, — qu’il regardait du fond de son sanctuaire intérieur, — Orphée contemplait la divine Perséphone, la grande souffrante, aux regards tendres ou farouches. La double intuition simultanée qu’il avait de l’Éternel-Masculin et de l’Eternel-Féminin, dont l’œuvre est l’univers, s’exprime dans ce vers que lui attribue Onomacrite :


Jupiter est l’Époux et l’Épouse éternels.